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M. Egger psychologue, analysant les concepts, n’y trouve que des images, nous serions curieux de savoir comment M. Egger logicien peut s’y prendre pour constituer une théorie du jugement ou du raisonnement ; sa seule ressource sera vraisemblablement de reconnaître qu’il y a sur ce point une lacune dans sa psychologie.

Ce compte rendu serait incomplet si, après avoir indiqué les mérites de cet ouvrage, qui sont de premier ordre, et signalé les défauts que nous avons cru y rencontrer, nous ne disions quelques mots du style remarquable dans lequel il est écrit. Par une réaction excessive contre les pompeuses déclamations à la mode autrefois, plusieurs de nos contemporains font profession de dédaigner la forme littéraire ; ils se contentent de donner à leur pensée la première expression qui se présente, et ils croient faire beaucoup pour leurs lecteurs en publiant leurs notes telles qu’ils les ont prises en courant ; c’est fine ironie de leur part quand ils louent le style d’un philosophé. Il ne semble pourtant pas qu’il soit indigne d’un philosophe, au moins quand il n’exprime pas des idées banales, de faire effort pour donner à chacune de ses idées la forme la plus précise et la plus exacte, pour dire simplement et sobrement, avec justesse toujours, avec force s’il le peut, ce qu’il veut dire, et cela sans dédaigner les comparaisons et les exemples que l’imagination met au service de la raison. Il est vrai que c’est un travail difficile, qui n’est pas à la portée de tout le monde et qu’il est plus aisé de railler que d’accomplir. Ce rare mérite de forme, le livre de M. Egger le présente au plus haut degré ; et c’est ce qui achève d’en faire une œuvre très distinguée et très personnelle.

Victor Brochard.

Mme Clémence Royer. Le bien et la loi morale ; éthique et téléologie. Paris, Guillaumin et Cie, 1881.

Ce livre nouveau, d’un auteur déjà connu par de nombreux et importants travaux, nous paraît digne d’une sérieuse attention. Il est, selon nous, l’expression la plus nette et la plus hardie de l’évolutionisme en morale. Il dépasse même les conclusions auxquelles aboutit H. Spencer dans son ouvrage intitulé The data of Ethics, car il embrasse dans une vaste synthèse la totalité des êtres, organiques et inorganiques. Cela seul suffirait à mettre hors de doute l’originalité du livre de Mme Royer, alors même qu’elle n’eût pas pris soin de nous rappeler dans sa préface que, sur tous les points essentiels où elle se trouve d’accord avec lui, elle avait devancé le philosophe anglais.

L’éthique et la téléologie (c’est tout un), se déduit pour Mme Royer d’une ontologie qu’elle proclame absolument nouvelle et qu’elle appelle le substantialisme. Cette doctrine ontologique doit mettre fin à l’éternel antagonisme qui divise spiritualistes et matérialistes ; elle conciliera leurs prétentions exclusives, en montrant « l’unité et l’identité de nature et de principe de l’esprit, de la force et de la matière, phénomènes dif-