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SECRÉTAN. — le principe de la morale

III

Le devoir dans l’empirisme

Le dernier mot de la logique n’est prononcé que par la morale. Réciproquement, nous allons voir que le commencement de la morale est donné par la logique. Nous avons posé les préliminaires indispensables, l’obligation, la liberté. Nous arrivons à notre objet.

Un empirisme conséquent ne se risquera jamais à formuler une morale, car l’idée de cet art implique un idéal qui s’impose universellement à la pensée, en d’autres termes une obligation. L’esprit logique n’essayera point d’emprunter l’obligation à quelque autre fait qu’au sentiment d’être obligé.

Nous ne parlerons pas de ces rationalistes sans le savoir qui se piquaient d’empirisme pour suivre la mode, et qui déduisaient la morale de leur prétention personnelle au respect d’autrui. Impossible que cette volonté d’être respecté donne autre chose qu’elle-même, à moins qu’en dépit des différences de couleur, de race et de culture, on n’y ajoute cet autre fait, moins facile à vérifier, que tous les bipèdes parlant un langage articulé sont nos semblables ou nos prochains : enfin et surtout la maxime générale que nous devons accorder au prochain ce que nous exigeons pour nous-mêmes, thèse qui dépasse étrangement les bornes de la logique, et qui certes n’a pas le plus léger trait de ressemblance avec ce qui s’appelle un fait.

Parmi les disciples de Bacon et de Locke, il en est un grand nombre « qui ont constaté directement le sentiment de l’obligation morale dans leur conscience personnelle et dans la société. Il ne leur était pas permis de considérer ce sentiment de l’obligation comme une donnée essentielle de notre nature ; c’eût été retomber dans l’a priori, dans les idées innées. Il fallait donc l’expliquer par d’autres faits. On s’est d’abord contenté de le rattacher à des penchants, à des besoins, dont la satisfaction est une source de plaisirs : le désir d’approbation par exemple, la sympathie, ou tout simplement l’affection pour nos semblables. Un tel empirisme est assez peu systématique ; peut-être n’en vaut-il que mieux à certains égards, mais l’esprit conséquent ne saurait s’y fixer. En effet, suivant le dogme fondamental de l’école, tous les phénomènes psychiques, les désirs aussi bien que les représentations, dont ils sont inséparables, et la forme de la conscience elle-même doivent résulter de l’action des objets extérieurs sur nos organes. Il faut donc montrer comment les affections bien-