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ANALYSES. — VICTOR EGGER. La parole intérieure.

du moi ; et dans sa construction, très ingénieuse et très systématique, il y a, selon nous, quelque chose d’artificiel.

La théorie des idées générales, telle que l’entend M. Egger, soulève à son tour des difficultés. L’auteur admet avec Aristote qu’on ne pense pas sans image, et ce n’est pas cela que nous lui reprochons ; mais la question est de savoir s’il n’y a dans l’esprit que des images juxtaposées et paraissant ensemble, sans que l’esprit se les représente comme formant un tout, ou si le lien qui les unit, la forme qui les enveloppe est quelque chose pour la pensée. M. Egger semble bien être de cette dernière opinion quand il oppose le langage à la pensée ; la fonction du signe impartial est, selon lui, de représenter ce tout défini que forment les images présentes à la conscience ; il correspond à l’unité de ce groupe, et cette unité existe pour l’esprit en dehors du nom, puisque la pensée est indépendante du langage et peut à la rigueur s’exercer sans lui, même quand elle est discursive. Cependant, lorsque, au début de son dernier chapitre, l’auteur définit la pensée, cet élément formel n’est nulle part mentionné. Sauf quelques passages, trop peu explicites, relatifs à la loi de l’essence ou de l’analogie, il n’est question que d’images rapprochées les unes des autres ; M. Egger parle comme un pur empirique. Sa théorie ressemble singulièrement à celle de Stuart Mill ; on ne voit pas bien en quoi elle diffère du nominalisme mitigé du philosophe anglais. En effet, si le lien qui unit les images n’est pas posé dans la conscience comme objet distinct, s’il n’est pas pensé, si l’analyse psychologique ne découvre que des images concrètes, il est difficile de comprendre comment l’idée existerait autrement que dans et par le nom, auquel les images sont associés ; si l’unité n’est pas expressément dans l’esprit, elle ne peut être que dans le nom. Ainsi M. Egger, avec une indécision qui ne lui est pas habituelle, parle tantôt le langage d’un conceptualiste, tantôt le langage d’un nominaliste.

Dira-t-il qu’il fait œuvre de psychologue, non de logicien ou de métaphysicien ; qu’il n’a pas à s’occuper des formes de la pensée, parce qu’elles ne sont pas des phénomènes observables et ne laissent pas aux groupes qu’elles ont formés une marque empirique ? Pourtant, il n’est pas tellement psychologue qu’il ne lui arrive, en cet endroit même, de se prononcer sur la nature des idées considérées comme des entités mystérieuses, cachées sous les phénomènes, ce qui est une question de logique ou de métaphysique. Mais, même comme psychologue, a-t-il le droit de définir l’idée générale sans tenir compte de l’élément formel sans lequel il n’y a point d’idée générale ? A-t-il le droit surtout de considérer l’idée comme un tout, sans tenir compte de ce qui en fait un tout ? Si cet élément existe, il ne faut pas l’omettre, alors qu’on se flatte de décrire exactement ce qui est ; s’il n’existe pas, il ne faudra pas en parler plus tard comme si on l’avait reconnu. D’ailleurs, il ne faut pas abuser des divisions entre les sciences ; ici surtout, la psychologie et la logique se touchent. M. Egger sans doute n’est pas exclusivement psychologue ; il doit être logicien à ses heures, et si