Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 13.djvu/428

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
424
revue philosophique

la vie psychique ; mais, lorsqu’il s’agit d’expliquer une chose aussi primitive que la distinction du moi et du non-moi, est-il permis d’invoquer les lois de la logique ? Le premier usage que fait l’esprit de cette discrimination, qui est, au dire des psychologues anglais, sa première faculté, n’est-il pas de se connaître lui-même et de se mettre à part des choses ? Ne faut-il pas un moi pour appliquer les lois de la logique, au lieu que le moi se constitue par l’application de ces lois ? et peut-on croire que le sens du logique, si l’on nous permet cette expression, s’éveille avant l’idée du moi ? Lorsque Descartes et Leibnitz distinguaient la veille et le rêve par la liaison des perceptions, ils invoquaient le même caractère que signale à son tour, pour un autre objet, M. Egger ; mais au moins ne l’invoquaient-ils que pour une pensée adulte, au moment où le moi est en pleine possession de lui-même et de ses moyens. Enfin, dût-on accorder à M. Egger ce point de sa doctrine, il conviendrait de le lui rappeler à lui-même lorsqu’il définit le moi ou l’âne « une pure succession ». Nous savons bien que, en employant cette expression, il veut surtout opposer les états successifs aux états étendus ; néanmoins il nous paraît incorrect d’appeler le moi une pure succession, lorsque, pour le définir et le distinguer de son contraire, on a fait intervenir autre chose que la succession des états. La pure succession est indifférente à la suite logique ; si donc on reconnaît dans le moi un principe qui, parmi les états successifs, fait un choix d’après certaines règles, certaines catégories supérieures c’est bien ainsi d’ailleurs que l’entend notre auteur), c’est ce principe, ce sont ces catégories supérieures que la définition doit mettre en lumière ; le moi est autre chose, et il est plus qu’une pure succession

Des réserves analogues peuvent être faites au sujet de la théorie de la reconnaissance. Que la reconnaissance implique l’idée du moi, c’est ce qu’on enseigne partout ; que l’idée du moi implique la reconnaissance, et qu’il ne puisse y avoir, faute de reconnaissance, une affirmation explicite du moi, c’est ce que M. Egger soutient ; mais il ne nous semble pas qu’il le prouve. Un état actuel, une idée nouvelle ne peuvent-ils pas être attribués au moi dans le présent, sans que la reconnaissance intervienne à aucun degré ? La mémoire y sera pour quelque chose, si l’on accorde à M. Egger, comme, nous croyons qu’il faut le faire, que le présent réel est un passé récent ; mais la reconnaissance, telle qu’il l’entend lui-même, suppose l’oubli et porte toujours sur un passé lointain. Il y a des états, et surtout des actes, que nous nous attribuons positivement à nous-mêmes dans le présent, au moins dans ce présent relatif qui est un passé récent : ces actes sont reconnus comme miens, bien qu’ils ne soient pas reconnus comme anciens. Il semble que M. Egger, dans ses efforts pour rapprocher l’idée du moi et l’idée de la durée, non pas sans doute au point de les identifier, mais au moins pour les river l’une à l’autre par une association inséparable, ait méconnu ce qu’il y a de spécifique et d’irréductible dans la notion