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ANALYSES. — VICTOR EGGER. La parole intérieure.

et très positif. Il n’y a pas, si M. Egger le veut, deux jugements distincts, l’un pour poser le moi, l’autre pour poser le non-moi ; il n’y a qu’un acte de l’esprit, un seul jugement dans lequel le moi et le non-moi se posent simultanément et d’une manière également positive. Il en est de même de tous les contraires ; ils sont enchainés l’un à l’autre, comme disait Socrate. Conçoit-on que l’idée du multiple nous soit présente sans l’idée de l’un, ou l’idée de l’autre sans l’idée du même ? Et dira-t-on que l’un n’est que la négation du multiple, le même, la négation de l’autre ?

Four expliquer la distinction que nous faisons entre le mien et le non-mien, M. Egger, on l’a vu, n’estime pas que l’étendue, attribuée par nous à certains phénomènes, refusée à d’autres, soit un critérium suffisant. À ce propos, il est amené à faire entre les sons et les perceptions visuelles ou tactiles une différence profonde, importante, non seulement pour la théorie qui nous occupe, mais pour la psychologie tout entière : car c’est d’elle que l’auteur s’autorisera pour appeler le son « un frère de l’âme ». Cependant cette distinction nous semble peu justifiée. L’unique raison invoquée est qu’il nous arrive de percevoir des sons sans les localiser avec précision. Mais autre chose est se représenter un objet comme situé dans une étendue déterminée, autre chose se le représenter comme situé dans une étendue quelconque, et l’une de ces choses peut manquer sans que l’autre fasse défaut. Ne nous arrive-t-il pas de ne pas localiser exactement et du premier coup une sensation visuelle ? À ne consulter que l’observation, il semble bien que nous ne percevons et n’imaginons jamais un son sans lui attribuer une place quelconque. M. Egger en convient ; mais il fait de cette attribution de l’étendue au son un acte ultérieur de l’esprit ; le son serait étendu parce qu’il est extérieur, et non pas extérieur parce qu’il est étendu. Sans parler des graves réserves qu’on pourrait faire sur la distinction trop réaliste établie par M. Egger entre les cas où l’esprit aperçoit dans les phénomènes la forme de l’étendue et ceux où il la leur attribue, cette assertion nous semble fort arbitraire. Il est impossible psychologiquement d’imaginer un intervalle quelconque entre le moment où le son est perçu ou imaginé et celui où nous le situons dans l’étendue ; il nous est donné comme soumis à la forme de l’étendue, aussi bien que toutes les autres sensations, Sans doute, logiquement, nous pouvons distinguer le son et sa place ; de l’idée du son on ne peut tirer analytiquement l’idée détendue ; mais ce n’est assurément pas ce que M. Egger, psychologue, a voulu dire. En fait, si nous n’imaginons pas une couleur sans étendue, nous n’imaginons pas davantage un son qui ne viendrait de nulle part et ne serait nulle part.

À défaut de l’attribution de l’étendue, la force des états, ou, s’ils sont faibles, leur association avec des états forts, surtout la suite, l’enchainement logique des états, suffisent, d’après M. Egger, à distinguer le mien du non-mien ; ce dernier caractère est, en fin de compte, seul essentiel. Personne ne contestera qu’il ait une grande importance dans