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d’un cadre trop étroit ; on sent qu’il en a plus à dire qu’il n’en peut dire, et c’est à regret qu’il se contient. Enfin on aurait mauvaise grâce à se plaindre que M. Egger, promettant peu, ait donné beaucoup, et l’intérêt des pages dont nous parlons est assez grand pour qu’on fasse silence sur les réflexions que pourrait suggérer la manière dont il a cru devoir composer son livre.

Mais si M. Egger échappe à la critique pour avoir traité ces questions, les solutions qu’il en donne sont comme désignées d’avance à la critique. Comment s’arrêter aux détails des idées particulières, lorsque l’on se trouve en présence de doctrines où sont engagées les vérités fondamentales de la science ? On accordera volontiers à l’auteur que la parole intérieure diffère de l’extérieure par les caractères qu’il a si soigneusement énumérés ; on conviendra qu’elle présente des variétés vives et une forme calme, et on admirera la finesse ingénieuse, la précision et la sûreté avec lesquelles il les a analysées ; on souscrira pleinement à cette doctrine que la parole intérieure est une image, et on sera même accommodant sur le ; terme pseudo-sensation. Mais on sera de moins bonne composition quand il s’agira de proclamer que le moi ne se connaît pas directement et expressément comme distinct du monde extérieur, qu’il n’a de lui-même une connaissance positive qu’en se retrouvant dans le passé, et enfin que les idées générales ne sont que des groupes d’images.

Nous n’avons pas du moi une conscience directe dans le présent : la conscience du moi dans le présent est toujours une privation ; c’est l’absence de reconnaissance, quand ce n’est pas l’absence de perception externe : voilà l’idée principale qui domine les théories de notre auteur sur la perception extérieure et sur la mémoire, Cette définition négative ne nous paraît pas exacte.

Tout ce que nous pouvons accorder à M. Egger, c’est que, avant le jugement explicite par lequel nous déclarons que certaines choses sont extérieures, il y a un état vague de l’esprit qui ne se distingue pas encore des choses. Mais, précisément parce que cet état est vague et indéterminé, il ne saurait être identifié avec la conscience nette et précise que plus tard nous prenons de nous-mêmes ; nous en sommes sortis, nous avons fait un pas en avant, nous avons acquis une notion nouvelle ou fait passer à l’acte une notion en puissance, quand nous disons : Ce sentiment, cette douleur sont en moi, et non dans les choses. Et la différence entre ce nouvel état et le précédent ne résulte pas uniquement de l’acte par lequel nous déclarons certains phénomènes extérieurs ; car comment le jugement que nous portons sur ces derniers phénomènes modifierait-il à lui seul notre idée des phénomènes sur lesquels il ne porte pas ? Avant ce jugement, les phénomènes miens n’étaient pas connus comme tels ; comment le seraient-ils ipso facto après ce jugement, si nous n’en affirmons rien de nouveau ? En réalité, il y a là aussi un acte spécial, un jugement direct, contemporain, si l’on veut, de la perception externe, mais distinct pour l’analyse,