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ANALYSES. — VICTOR EGGER. La parole intérieure.

au langage, On dit qu’il facilite le souvenir. C’est inexact, si l’on entend par là qu’il ait comme une vertu magique qui lui permette d’évoquer à son gré les idées. La vérité est qu’il est seulement un des éléments du souvenir ; mais il en est le plus saillant, étant la première chose que la conscience aperçoive nettement ; il annonce les autres éléments, et il semble en provoquer l’apparition.

On dit qu’il fixe les idées. Il faut s’entendre. Les lois de l’esprit ont formé et maintiennent les idées générales ; mais le mot, s’il est impartial, assigne aux éléments de l’idée la discipline qu’ils doivent garder ; il empêche les empiètements d’une image sur les autres. C’est dans la même mesure, et avec les mêmes réserves, qu’on peut dire qu’il est utile à la pensée discursive ; il ne lui est pas indispensable.

Souvent, on a attribué aux mots une sorte de pouvoir absolu et de droit divin ; l’organisation d’un gouvernement libre représente mieux les rapports des mots et de la pensée. Les mots sont comme ces délégués, ces mandataires auxquels est confiée l’administration des affaires publiques ; ils semblent incarner la souveraineté populaire, mais ils n’ont en réalité qu’un semblant de pouvoir ; « leur démission collective ne saurait entrainer la mort du corps social, mais seulement une crise politique passagère, sans danger sérieux pour une société dont les forces vives sont demeurées intactes. »

La théorie de la perception extérieure, celle de la reconnaissance, la définition du signe comme tel, la théorie de l’habitude positive, fort importante, mais dont l’exposition est trop disséminée à travers plusieurs chapitres, voilà les parties les plus remarquables du livre de M. Egger : ce sont celles où il semble perdre de vue la question très particulière qu’il s’est proposée. On pourrait être tenté de lui en faire un reproche et de remarquer que, s’il a rendu son sujet intéressant, c’est à la condition d’en sortir. Ce reproche ne serait pas fondé. Il est toujours permis à un auteur qui traite un point particulier, de le rattacher aux théories générales dont il dépend, et si en psychologie les théories les plus importantes ne sont pas encore établies de telle sorte qu’elles soient admises de tous sans conteste, qu’on puisse en parler sans les refaire et procéder par allusions, M. Egger pourrait répondre que ce n’est pas sa faute. Il faut bien qu’il expose ex professo ces théories, puisque personne avant lui ne s’est chargé de le faire, du moins d’une façon qui le satisfasse. Tout au plus serait-il permis de dire qu’il est fâcheux d’introduire ainsi de grandes questions dans un livre destiné à en élucider une moindre ; qu’elles perdent à être vues de biais ; que c’est leur faire tort d’en parler sans leur donner les développements qu’elles commandent ; qu’elles méritent d’être traitées pour elles-mêmes et non par occasion, qu’à ce jeu enfin on risque d’être ou trop concis, ou obscur, ou incomplet, ou mal compris. Mais c’est là un inconvénient dont M. Egger a été la première victime ; en plusieurs endroits, on s’aperçoit qu’il est mal à l’aise, enfermé dans les limites