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ANALYSES. — VICTOR EGGER. La parole intérieure.

nir. Elle forme une foule de combinaisons nouvelles ; elle a sa vie propre et indépendante ; elle est une création de l’âme.

Dira-t-on que la parole intérieure est une image ? Mais le sens du mot imagination est spécialisé et semble devoir s’appliquer à une espèce du genre dont la parole intérieure fait partie, les phénomènes d’ordre visuel. M. Egger propose le mot pseudo-sensation, qui ne nous semble pas très heureux ; il a, selon nous, le défaut d’éveiller l’idée d’une erreur, d’une tromperie, qui est tout à fait étrangère à la définition de la parole intérieure. Le mot image est à tout prendre le meilleur, car il est bien convenu entre tous les psychologues qu’il ne désigne pas seulement les représentations de sensations visuelles. Ainsi on ne fera pas difficulté d’accorder à M. Egger que les sourds-muets remplacent les images sonores par des images tactiles.

Parmi les images, la parole intérieure a une importance toute particulière qui lui vient de l’habitude. L’habitude, en un sens, est une puissance destructive des caractères spécifiques de l’âme : l’âme est une pure succession, et l’habitude tend à supprimer la succession avec la conscience. Mais l’attention répare les effets négatifs de l’habitude : corrigée par l’attention, l’habitude produit des phénomènes fréquents, mais toujours vifs et nets à la conscience : ce sont des habitudes positives. Chacun des mots de notre langage usuel est une habitude positive ; et la parole intérieure représente en nous la perfection de l’habitude positive. « Tandis que chaque mot est un tout indissoluble, les syllabes étant rivées les unes aux autres par ce lien de fer que Stuart Mill a appelé l’association inséparable, l’ordre des mots au contraire n’a rien de fixe ; sans doute ils s’appellent les uns les autres, mais non d’une manière inéluctable ; bien loin d’être réduite, comme une mendiante en haillons, à chanter toujours le même air, l’âme est un improvisateur infatigable ; avec des matériaux toujours les mêmes, elle construit incessamment des composés nouveaux. »

Et, si l’on voulait pénétrer encore plus avant, peut-être trouverait-on la raison du rôle joué par la parole intérieure dans la nature même du son. « Essentiellement inétendu, le son est à la fois une portion du monde extérieur et un frère de l’âme… L’âme se plaît aux sons, parce qu’elle retrouve en eux sa propre essence… Le son devient sans peine une chose de l’âme, et la parole intérieure est bientôt pour la conscience le phénomène principal de la pensée, non le phénomène essentiel assurément, mais le plus évident et comme le tuteur rigide de cette plante fine et délicate ; la pensée s’appuie sur elle et, l’associant à sa vie, en fait presque une chose vivante, à tel point qu’il faut l’observation la plus attentive pour distinguer dans cette intime association l’élément fondamental et l’élément emprunté qui lui sert d’auxiliaire, l’âme elle-même et cette souple armure, à la fois son œuvre et sa force, qui se plie à tous ses mouvements et, les revêtant de son éclat, les dessine avec netteté sur le champ de la conscience. »

Il reste à déterminer les rapports de la parole intérieure avec la