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imite même la parole d’autrui ; elle est parfois dramatique et paraît inspirée. La plus importante des trois est la parole intérieure morale. Les ordres de la conscience nous apparaissent souvent comme dictés, d’une façon brève et impérative, par une voix intérieure, Bien plus, celle voix prend parfois des caractères de la parole extérieure : car, étant hétérogène au calcul d’intérêt qu’elle interrompt brusquement, elle est un état imprévu : c’est ce qui arrivait à Jeanne d’Arc quand elle entendait ses voix, à Socrate quand il écoutait les avertissements de son démon. Ce n’est manquer de respect ni à Jeanne d’Arc ni à Socrate que de voir dans les révélations mystérieuses qui leur étaient faites des hallucinations. Les hallucinations de l’ouïe sont les moins pathologiques de toutes : elles ne sont nullement incompatibles avec le plus ferme bon sens et la pleine possession de la raison. N’est-il pas naturel, quand on croit aux esprits, d’admettre qu’ils se manifestent par des sons, phénomènes impalpables et inétendus ? Et, si un esprit parle, c’est pour exprimer des idées ; en cela il est semblable à notre esprit. Il n’y a en de telles manifestations rien d’étrange ni d’effrayant, Surtout si l’esprit est favorable et bienveillant, s’il donne de bons conseils et parle comme la conscience, C’est ainsi qu’une « ferme raison a gouverné à son insu la sublime folie de la jeune fille. »

Une étude attentive des documents du procès de Jeanne d’Arc confirme cette théorie, Pour le démon de Socrate, la question historique présente plus de difficultés ; avec M. Fouillée, et d’accord avec lui en général, M. Egger essaye pourtant de la résoudre. À notre grand regret, nous sommes obligé de passer rapidement sur les pages d’une psychologie très fine que l’auteur a consacrées à ces deux questions,

On peut encore voir des manifestations de la parle intérieure morale dans les discours qu’Homère place dans la bouche de ses dieux ; ce sont encore des allusions aux variétés vives de la parole intérieure ces monologues, ces apartés si fréquents au théâtre. Toutes ces formes vives sont comme une série de moyens termes entre la parole intérieure et la parole extérieure : des faits nombreux, curieusement rapprochés et ingénieusement commentés, un exemple emprunté au roman de M. A. Daudet, le Nabab, nous font assister au passage insensible de la parole mentale, à son expression extérieure.

Cependant, entendre sa parole intérieure comme si elle était extérieure, surtout la faire entendre aux autres, est toujours une faiblesse ou une puérilité. On n’est vraiment maître de sa pensée que, quand on peut la garder pour soi. Laissons donc de côté les formes vives de la parole intérieure, pour considérer la forme calme, qui est la plus importante et la plus fréquente.

Quelle est la place de ce phénomène dans la liste des faits psychologiques ? Est-ce à la mémoire qu’il faut le rattacher ? Il est clair que les matériaux de la parole intérieure sont toujours des souvenirs ; mais elle fait, du moins le plus souvent, bien autre chose que de se souve-