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ANALYSES. — VICTOR EGGER. La parole intérieure.

phénomènes en deux groupes, le passé et le présent, exactement comme la perception externe les divise en deux autres groupes, les faits extérieurs et les faits internes, Et l’idée du moi est attachée à l’idée de la durée par un lien indissoluble, comme l’idée du non-moi est inséparablement unie à l’idée d’étendue. Un état passé et oublié, qui revient à la conscience, est par là même déclaré mien ; un état n’est reconnu comme mien que s’il est reconnu comme passé.

Cependant ces différents groupes ne coïncident pas entre eux. Un fait étendu peut être considéré comme non mien en tant qu’il est étendu, comme mien en tant qu’il est passé. « J’ai vu cela jadis ; cela, c’est-à-dire quelque chose d’extérieur ; jadis, c’est donc un phénomène passé jadis entraine je ; tandis qu’à un point de vue je me refuse le phénomène, à un autre point de vue je le retiens. »

Enfin il peut arriver que nous ne portions sur certains états ni le jugement d’extériorité, ni le jugement d’antériorité. Ils seront miens, n’étant pas extérieurs ; ils ne seront pas miens, n’étant pas reconnus ; ils seront miens sans l’être ; ils le seront implicitement ; tel est le cas des faits d’imagination, et aussi de la parole intérieure.

En effet, dans la parole intérieure, les combinaisons que nous formons à l’aide des mots, les phrases, sont nouvelles ; elles ne sont donc pas reconnues ; elles ne sont pas miennes, Il est vrai que les mots sont des états anciens, de vieilles connaissances ; mais ils ne sont pas reconnus non plus. Nous retrouvons ici l’influence de l’habitude négative. Si nous avons un intérêt quelconque à nous rappeler en quelles circonstances nous avons appris le sens d’un mot, ou si le souvenir est récent, comme quand nous étudions une langue étrangère, la reconnaissance se produira. Si nous répétons souvent les mêmes mots sans attention, la reconnaissance s’affaiblira et finira par disparaître. Or c’est précisément ce qui se produit pour la plupart des mots usuels ; les mots n’ont pas de valeur par eux-mêmes, ils ne sont pour nous que des instruments de travail et non des souvenirs : « Un mot usuel n’existe plus pour lui-même, mais pour les phrases dans lesquelles à entre, et pour la portion d’idée qu’il sert à exprimer. » Les mots ne sont donc pas plus reconnus que les phrases, et la parole intérieure est mienne implicitement.

C’est ce qui explique pourquoi les psychologues l’ont si peu remarquée. On ne comprendrait pas leur long silence si elle était un état de conscience directement observable. Mais en réalité l’observation dite de conscience se fait par la mémoire ; et le premier objet qui se présente à l’étude du psychologue, ce sont les faits explicitement miens, les faits accompagnés de reconnaissance.

Sous le nom de variétés vives de la parole intérieure, M. Egger, dans son 3e chapitre, examine successivement la parole intérieure passionnée, la parole intérieure imaginaire et la parole intérieure morale. La première est d’ordinaire vivante, concise, très personnelle ; la seconde est moins concise ; elle suit davantage l’allure de la parole extérieure ; elle