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qu’elles sont données comme étendues. Mais elle me peut valoir pour les sons. Le son en effet peut ne pas être localisé ; il n’est pas attaché à l’étendue, comme la couleur et la résistance : il est seulement dans le temps. Nous le jugeons pourtant extérieur, et par suite, en raison de l’association devenue inséparable entre l’idée du non-moi et celle de l’étendue, nous lui attribuons une place dans l’étendue, Mais nous allons cette fois de l’extériorité à la spatialité, et non plus, comme tout à l’heure, de la spatialité à l’extériorité ; l’étendue n’est plus le signe de l’extériorité, mais l’extériorité est la raison de la spatialité.

Maintenant, les raisons pour lesquelles les sons, tels que la parole d’autrui, sont jugés extérieurs, sont au nombre de trois : 1o la parole d’autrui est un état fort ; 2o elle est généralement associée à d’autres états forts, des visa en mouvement (mouvements des lèvres, etc.) ; 3o elle est un état imprévu, fortuit, qui rompt la série des états faibles en laquelle nous sentons s’exercer notre pouvoir personnel, et qui : st dépourvu de tout rapport logique avec les états faibles immédiatement antérieurs. — De ces trois caractères, le dernier est, à vrai dire, le plus essentiel.

Notre propre parole nous paraît extérieure pour les mêmes raisons : elle est un état fort ; elle est toujours associée à d’autres états forts, tels que les tacla buccaux ; et, si en elle-même elle n’est pas imprévue, elle provoque des phénomènes imprévus, les échos, les réponses, des mouvements, et, par suite, elle paraît de la même famille.

Lorsque ces trois conditions viennent à manquer, il est tout naturel que la parole soit jugée intérieure.

Le jugement per lequel la parole est déclarée intérieure, déjà implicite en ce sens qu’il n’exige pas une affirmation expresse du moi comme opposé au non-moi, est-il encore implicite à un autre point de vue, celai de la reconnaissance ou du souvenir ? Tel est le lien, un peu lâche à ce qu’il semble, par lequel M. Egger rattache à sa théorie de la perception extérieure sa théorie de la mémoire.

Pour qu’une chose soit explicitement jugée mienne, il faut qu’elle soit reconnue. La reconnaissance est un jugement analogue à la perception externe : c’est elle et non, la perception interne, qui fait pendant à la perception externe. Ces deux jugements s’opposent comme l’espace et le temps. Percevoir une chose extérieure, c’est la situer dans l’étendue ; reconnaître une chose, c’est la situer dans le passé, c’est-à-dire dans le temps, car le temps réel, c’est le passé ; le présent n’est qu’un indivisible instant, un néant de durée, et l’avenir n’est pas encore, On n’a pas, à vrai dire, l’expérience du présent : « La conscience ainsi définie est une contradiction logique, car elle ne serait autre chose que la connaissance d’un néant par un néant ; ou le terme conscience est vide de sens, ou il signifie la mémoire immédiate, la mémoire avant l’oubli. » Le présent réel, le présent empirique, est le passé immédiat ; le passé réel est le passé lointain.

Le jugement de reconnaissance divise, au point de vue du temps, les