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intérieurement les intonations les plus diverses, les accents les plus étranges ; et souvent, si nous voulons, dans une intention de Caricature par exemple, les reproduire extérieurement, nos organes nous trahissent, Plus variée, plus souple que la parole extérieure, la parole intérieure est aussi plus correcte ; on le voit bien dans le cas où nous nous exerçons à parler une langue étrangère, lorsque, sachant bien ce qu’il faut dire et quel accent il faut prendre, nous ne parvenons pas à nous satisfaire.

Enfin la parole intérieure est une image purement sonore : elle est un état simple, tandis que la parole extérieure est un couple de sensations. Nous ne nous bornons pas en effet, quand nous parlons, à entendre notre voix ; nous sentons, pourvu du moins que nous voulions y prêter quelque attention, les mouvements de la langue et des lèvres ; la sensation sonore est toujours accompagnée d’une sensation tactile. Il est vrai que certains psychologues, comme Al. Bain, ont soutenu que la parole intérieure est aussi toujours accompagnée de l’image d’un mouvement buccal : ainsi le veut la théorie si répandue aujourd’hui qui voit dans la sensation tactile-musculaire ou son image un élément de tous les faits intellectuels. Mais, s’il en était ainsi, comment comprendre que notre parole intérieure puisse prendre l’apparence de la parole d’autrui ? C’est pourtant ce qui arrive fréquemment dans les hallucinations hypnagogiques. Il serait trop hardi de dire, à la lettre, que les autres parlent par notre bouche. Si l’attention appliquée au phénomène de la parole intérieure semble y découvrir un élément tactile, c’est que, comme on l’a vu plus haut, l’observation attentive est une véritable expérimentation ; mais qu’on se contente de se remémorer une parole intérieure récente, et l’image du tactum buccal ne figurera pas dans le souvenir, L’image tactile, si elle accompagne l’image sonore, est entièrement inobservable ; autant dire qu’elle est absente. Au vrai, voici comment, suivant M. Egger, les choses se passent. À l’origine, la parole intérieure, imitation et écho de la parole extérieure, se compose, comme elle, d’un élément sonore et d’un élément tactile ; mais, à mesure que la vie psychologique se développe, l’habitude exerce sur les deux paroles une influence toute différente. Dans la parole extérieure, bien que nous Soyons surtout attentifs à l’élément sonore, l’habitude n’efface pas l’élément tactile, parce qu’il est une sensation, toujours donnée et toujours renouvelée : l’habitude ne peut aller jusqu’à nous anesthésier. Dans la parole intérieure, au contraire, l’élément tactile n’apparaît plus qu’à titre d’image ; il est par là même plus faible et, comme l’attention le dédaigne toujours, il se trouve soumis à l’influence de ce que M. Egger appelle l’habitude négative ; c’est le propre de tous les états que l’attention ne protège pas contre l’oubli par un effort constant d’aller toujours s’affaiblissant à mesure qu’ils se répètent. L’image tactile arrive-t-elle à disparaître ? Y a-t-il, au terme de cette progression décroissante, un zéro de conscience ? Question délicate, qu’il est inutile de soulever, Il suffit que de l’élément tactile de la parole intérieure il ne reste plus qu’une conscience infinitésimale ; il est, comme nous disions,