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ANALYSES. — VICTOR EGGER. La parole intérieure.

L’habitude positive, habitude corrigée par l’attention, rend compte de tout ce qui se conserve ou se fortifie ; et comme, si l’attention a des motifs, ils sont peu apparents, elle est en apparence au moins, une liberté, De là proviennent des variétés individuelles ; les lois de l’âme ne sont donc plus universelles et absolues ; s’il faut de telles lois pour constituer une science, la psychologie, telle que l’entend et la pratique notre auteur, ne serait pas une science, au sens rigoureux du mot, mais plutôt, comme dit M. Renouvier, une critique.

On voit, par ces indications, l’intérêt qui s’attache à l’œuvre que nous annonçons ; personne ne contestera qu’elle mérite une analyse exacte et une discussion approfondie.

L’ouvrage se compose de six chapitres : le premier comprend un aperçu descriptif et une histoire de la question ; le second-est consacré à la comparaison de la parole intérieure et de la parole extérieure ; le troisième passe en revue les variétés vives de la parole intérieure, c’est-à-dire les cas où la parole intérieure, qui est d’ordinaire une image faible, s’exalte jusqu’à se rapprocher de l’hallucination où même jusqu’à l’atteindre ; le quatrième achève de caractériser la parole intérieure en marquant sa place dans la liste des phénomènes psychologiques ; le cinquième et le sixième déterminent les rapports de la parole intérieure et de la pensée, d’abord au point de vue de leurs situations respectives dans la durée, puis au point de vue de l’essence et de l’intensité. — Pour épuiser la question, il resterait à chercher comment l’habitude de parier intérieurement se forme chez l’individu contemporain, comment elle s’est formée dans l’histoire de l’humanité, et à examiner les modifications qu’elle subit dans les états psychiques anormaux, comme le sommeil, l’ivresse, la folie. Forcé de se borner, M. Egeer a dû négliger ces dernières questions, sans s’interdire toutefois de faire des excursions dans le domaine réservé, quand son sujet l’exigeait.

La parole intérieure peut être appelée une imitation ou un écho de la parole extérieure ; elle « est formée des mêmes éléments ; elle a le même rythme et le même timbre. « La parole intérieure est comme une parole ; ma parole intérieure est comme ma parole. » Elle diffère de la parole extérieure en ce qu’elle est un état faible ; en outre, elle est plus rapide, car nous n’avons pas besoin de reprendre haleine, et nous nous dispensons d’articuler nettement chaque mot ; elle est plus concise, car souvent un mot suffit pour remplacer toute une phrase ; des expressions synthétiques, comme : « Malheureux !.… Un autre… Jamais… inintelligibles pour autrui, peuvent être parfaitement claires pour nous ; elle est plus personnelle, car nous pouvons à notre gré modifier la syntaxe, créer des mots nouveaux dont seuls nous comprenons le sens et qui expriment pour nous les nuances les plus particulières de nos : sentiments. D’un autre côté cependant, notre parole intérieure peut s’émanciper de notre personnalité vocale ; ne nous arrive-t-il pas d’instituer mentalement un dialogue avec un personnage imaginaire, dont nous entendons la voix et le timbre différents des nôtres ? Nous pouvons imiter