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titre de l’ouvrage en indique bien la tendance : Essai de psychologie descriptive. L’auteur est un vrai, un pur psychologue. Il ne se permet pas d’incursions dans le domaine de la physiologie, et il fait, pour résister à la métaphysique qui le sollicite quelquefois, les efforts les plus méritoires. S’attacher aux faits, les décrire tels qu’il les voit, les analyser et les distinguer d’après leurs plus délicates nuances, avec une fermeté d’esprit qui ne s’égare point au milieu d’une multitude de détails, avec qui ne recule ni devant les minuties, ni devant l’apparence de la subtilité, quand la vérité l’exige, voilà son ambition. En même temps, le seul instrument qu’il emploie est l’observation par la conscience ou plutôt par la mémoire. Non pas qu’il s’agisse de contempler cet être métaphysique, cette substance en soi, qu’on appelle le moi, et dont tant de psychologues se sont flatté d’avoir l’intuition. M. Egger se borne à la description des faits ; il est purement empirique. Même il entend l’observation par la conscience autrement que ne faisaient la plupart des psychologues. C’est une des bonnes remarques de Son livre que « l’observation de conscience des’anciens psychologues, exemple : mouvoir son bras, uniquement pour observer la volonté motrice, est une expérimentation, car nous créons le fait que nous observons et pour l’observer, » Si le spectateur est en même temps acteur, « n’est-il pas à craindre que l’acteur, au lieu de suivre son inspiration naturelle, ne modifie son jeu pour répondre aux secrets désirs du spectateur ? » On évite l’objection, si le fait observé ne dépend plus de nous au moment où nous l’observons, si l’on observe le passé au lieu du présent, « L’observation de mémoire correspond à l’observation pure des sciences physiques et naturelles, et c’est là le vrai procédé du psychologue. » Dans tous les cas, on le voit, il s’agit d’une méthode toute subjective et d’introspection.

Si M. Egger se distingue nettement des psychologues qui croient devoir faire de larges emprunts à la physiologie, il ne diffère pas moins de ceux, et ils sont nombreux, qui expliquent la plupart des phénomènes psychologiques par des sensations musculaires et forment ce qu’on pourrait appeler l’école du toucher ou du muscle : Les sensations de a vue et de l’ouïe ont, selon lui, plus d’importances que celles du toucher. S’i parle souvent de la volonté, il entend, contrairement à Maine de Biran et avec M. Renouvier, une volonté toute mentale, l’attention, qui n’agit pas directement sur les muscles, mais ne leur imprime le mouvement que par l’intermédiaire des représentations.

La volonté, ainsi définie, joue un rôle important dans les théories de M. Egger ; la nécessité ou le déterminisme sont partout combattus, ou du moins les faits sont expliqués sans recourir aux hypothèses sur lesquelles reposent ces doctrines. Une distinction importante, celle de l’habitude négative et de d’habitude positive, domine en quelque sorte tout l’ouvrage et en marque bien l’esprit. Par l’habitude négative, qui est l’habitude pure et simple, s’explique tout ce qui, dans la vie psychologique, s’affaiblit ou disparaît : c’est une puissance destructive.