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sentant le plus autorisé de la morale juridique, et sans la discussion de cette morale, il nous était impossible d’introduire ce que nous estimons la vérité sur un grand sujet.

En résumé, l’idée de la justice prise en elle-même ne porte pas fruit. Elle reste négative. Pour lui faire donner davantage, il faut avoir recours au contrat, lequel ne trouve pas sa raison dans la justice, mais plutôt dans l’utilité, principe empirique ; et cette utilité se fonde sur la convenance, sur l’adaptation réciproque des êtres appelés à contracter. Ils produisent un bien supérieur en s’unissant : ce bien supérieur est conforme à leur nature. Ils fondent la communauté dans la justice, parce qu’ils sont faits pour la communauté. Ils réalisent en contractant ce qui était préparé pour eux par la nature. Ils s’unissent, parce qu’ils doivent s’unir ; ils doivent s’unir, parce qu’ils sont un. La justice positive s’accorde avec l’amour raisonnable dans le sujet moral qui résout d’agir comme l’organe libre d’un tout solidaire. Sans cette intuition, instinctive ou consciente, la justice est morte, l’amour insensé, l’un et l’autre inexplicables, impossibles. Avec cette vue de l’être, l’amour trouve sa règle dans la justice, la justice prend naissance dans l’amour[1].

Unir sans confondre, distinguer sans séparer ; c’est la logique et c’est la morale. L’unité morale, c’est l’union, la fédération, l’unité voulue, qui a pour condition la pluralité ; mais une pluralité dont l’unité forme la base, puisqu’elle trouve sa vérité dans l’union.

Je termine ici ce travail. J’aurais suffisamment atteint mon but si, jetant le résumé de l’expérience moderne dans la formule du Portique, évidente en soi, j’avais montré la conception de la vie inséparable de celle du monde ; tout en éclaircissant un peu ce fait, contraire en apparence à ma thèse, que les penseurs partis des points les plus éloignés arrivent à des conseils moraux sensiblement identiques. Je voudrais avoir fait comprendre comment les motifs légitimes qui se succèdent ou s’entrechoquent dans la direction de notre conduite, se rapprochent et finissent par se confondre, lorsqu’on les considère avec une attention suffisamment prolongée.

Charles Secrétan.

  1. Pour un aperçu des conséquences pratiques de notre principe, voir la conclusion de l’ouvrage de M. Marion cité plus haut, p. 317 et suivantes.