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ce but, nous rattacherons au nom d’Église tout effort tenté dans ce sens. Nous dirons donc que l’amour est le principe de l’Église, et que dès lors toute société qui s’attribue un droit de contrainte n’est plus une Église.

« La liberté des individus n’est point, dans son abstraction, le bien positif ; mais comme elle en forme la condition indispensable, comme elle ne saurait d’ailleurs se déployer au dehors dans sa plénitude, et que celle de chacun peut être détruite ou gênée par celle d’un autre ; le bien positif exige une organisation collective destinée à garantir par la contrainte la liberté des individus, en l& réduisant à la mesure compatible avec la même liberté chez les autres. Telle est la justice, principe de l’État, sa raison d’être, et par conséquent la borne légitime sa compétence.

« Ainsi le bien positif ne peut se réaliser que dans l’Église, organisation de pure spontanéité, qui perd son : caractère : et son droit à l’existence dès qu’elle aspire au commandement. L’organisme collectif qui peut seul imposer l’obéissance, parce que cette obéissance est nécessaire à la liberté, l’État ne saurait sans contradiction, par conséquent sans usurpation, prétendre réaliser le : bien positif, dont la spontanéité morale forme essence. La poursuite du bien positif par l’État et dans l’État ne peut aboutir qu’à la tyrannie.

« Il faut que l’individu soit but dans l’État, pour être moyen dans l’Église[1]. »

Ces conclusions ne laissent rien à désirer, je l’espère, sous le point de vue de la netteté : si donc il subsiste : quelque différence : entre la morale de la justice-et celle de l’amour ou de la solidarité, telle : que j’essaie de la comprendre, l’écart consisterait uniquement en. ceci que la dernière restreint plus sévèrement la sphère de : la contrainte au profit de la liberté : des individus et des : associations spontanées.

La Science de la morale ne s’avance pas précisément en ligne droite. Qui n’aurait juré ; par exemple, que la bonté n’est à ses yeux que passion, pure passion, incorrigible, tandis que finalement elle se trouve exprimer le devoir envers soi-même, entièrement rationalisé ? Alors évidemment l’autre bonté n’était pas la bonne, l’autre bonté n’était pas la bonté[2]. Mais : enfin tout est bien qui finit bien. Les écueils qui

  1. Critique philosophique, IXe années tome Ier, p. 354.
  2. C’est ainsi vraisemblablement que M. Renouvier l’a toujours entendu lui-même ; et c’est ce qu’il voulait marquer en accusant la bonté, en tant que passion, de faire naître des conflits avec la justice : ce qui semblait une définition était une réserve. M. Marion, qui se présente comme disciple de M. Renouvier à la seconde page de son beau livre sur la solidarité morale, appelle expressément la bonté « la seule vertu qui suffise par elle-même : » (page 269). Disons à ce propos combien nous regrettons d’avoir lu M. Marion trop tard : pour nous