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CH. SECRÉTAN. — du principe de la morale

du mérite et du devoir, il la renverse, Dieu merci ! de ses propres mains.

Le mérite, écrit-il, n’est que l’intégration de la justice idéale diminuée non par l’état de guerre, mais par l’établissement d’un droit positif[1]. Le mérite est le devoir envers soi-même entièrement rationalisé.

Tout est là ! S’il est un devoir envers soi-même et si la raison dicte le devoir, c’est un devoir de rationaliser autant qu’on le peut le devoir envers soi-même, et celui qui néglige de le faire n’est évidemment pas à l’abri du reproche. L’aveu ne saurait être plus complet, le mérite[2] (absolument identique à la charité), le mérite est un devoir ; bien plus, c’est la vérité du devoir envers soi-même, source et sommet de tous les devoirs.

Sur le fond des choses, il n’existe donc pas l’ombre d’une dissidence entre nous. Quant à l’exposition, il nous semble qu’elle aurait atteint plus rapidement le but en commençant par établir que la raison tend au bien, c’est-à-dire à cette fin commune qui se compose des fins de chacun, puis que cette communion des volontés dans leur affirmation réciproque exige, pour pouvoir se réaliser, la pleine liberté de chacune d’elles, laquelle implique à son tour une compétence individuelle, un champ d’action, c’est-à-dire la propriété, le droit, et finalement la constitution d’un pouvoir public comme garantie contre des usurpations toujours possibles, attendu que la liberté ne se conçoit pas sans la faculté d’en abuser.

Ce n’est point un couvent que nous trouverions au bout de cette avenue ; mais peut-être n’est-ce pas non plus tout à fait la maison où le criticisme voudrait loger l’humanité. C’est la distinction du droit et de la morale ; c’est la vieille doctrine des sphères de droit, c’est la compétence de l’État réduite à faire observer la justice ; c’est la séparation de l’État et d’Églises sans propriété et sans existence juridique particulière ; c’est une forteresse et c’est un temple, le temple de la liberté.

« La bonne volonté est le seul bien réel, avons-nous dit ailleurs dans une déclaration arrachée par des insinuations inexplicables. Vouloir le bien d’autrui, c’est vouloir qu’il veuille le bien, résultat qui ne saurait absolument être obtenu par voie de contrainte. Ainsi la réalisation du bien positif exclut la contrainte, et quiconque poursuit le bien positif doit s’en interdire absolument l’emploi. Comme les sociétés religieuses les plus considérables prétendent se proposer

  1. Science de la morale, tome Ier, p. 149.
  2. Ibid., p. 239.