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CH. SECRÉTAN. — du principe de la morale

extérieurs à nous, consignés dans un document écrit, ou formulés par des hommes qui prétendent posséder un titre spécial à cet effet ; alors on sort entièrement du domaine de la pensée. C’est en la répudiant qu’on échappe à ses périls manifestes. On n’a plus à demander le pourquoi des règles, on n’essaie plus d’établir l’unité dans l’intelligence, il suffit d’entendre le sens des prescriptions. Il n’y a qu’à s’assurer que Dieu existe, qu’il peut écrire ou dicter, qu’il l’a fait, qu’on a bien sous les yeux sa parole authentique, sans erreur et sans omission, et que ceux qui réclament notre obéissance en son nom tiennent réellement de lui les pouvoirs qu’ils s’attribuent. Aussi longtemps que ces vérifications, peut-être difficiles, ne seront pas achevées d’une manière satisfaisante, nous nous reprocherions d’obéir à des hommes, vivants ou morts, qui pourraient avoir voulu nous abuser, s’ils ne se sont pas trompés eux-mêmes.

Et, quand toutes les conditions d’une autorité légitime seraient réunies, nous subirions encore une servitude. Le commandement extérieur à nous ne s’imposerait à notre obéissance que par des motifs également extérieurs suffisant peut-être pour assurer la régularité des actes matériels, il ne formerait pas des personnes. Une législation pareille ne répondrait pas à nos besoins. Ce n’est pas ainsi qu’il faut entendre la morale religieuse une loi semblable pourrait émaner d’un usurpateur du monde, elle répugne à l’idée d’un Dieu créateur. Non, suivant un théisme véritable, l’auteur de la loi morale est aussi l’auteur de l’être que nous sommes appelés à réaliser par l’obéissance à cette loi. La promulgation de la loi se confond naturellement avec la création même, quelle que puisse être la durée du temps requis pour arriver à l’entendre, la durée, dis-je, du temps que l’humanité met à se former. Pour la pensée religieuse, notre nature est l’expression de la volonté qui nous donne l’être. Obéir à l’ordre de Dieu, réaliser sa propre nature, sont dès lors des expressions synonymes. La seule loi qui porte en elle-même les titres de sa divine origine est écrite dans notre cœur. La conscience du libre arbitre nous fait comprendre que Dieu nous appelle à l’achèvement de cette liberté qu’il nous a donnée. Et comme, en fait, nous n’existons que par nos semblables, par le développement collectif de l’humanité, dont le progrès dépend à son tour de nous ; la véritable morale religieuse, qui nous ordonne de suivre les indications de notre nature essentielle, conformément à l’idée d’un Dieu créateur, se résume à notre précepte « Réalise ta liberté dans la communion ; comporte-toi toujours comme organe libre de l’humanité, qui est une, et solidaire dans ses destinées. »