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l’ordre moral. Mais cette question de méthode et de plan ne touche pas au fond des choses.

La morale religieuse est parfaite. Ne cherchant que la vérité, sans souci d’en accabler les opinions dissidentes, nous dirons même que toute morale est nécessairement religieuse, à son insu peut-être, et malgré qu’elle en ait. Toutes les morales en effet s’appuient sur la conscience de l’obligation ; celles qui, cherchant la source de ce sentiment unique dans des penchants et dans des associations involontaires, le réduisent à l’illusion, aussi bien que celles qui partent de lui comme d’un fait premier, signe de l’ordre objectif véritable. Après avoir démoli le devoir, les premières s’exercent à le rebâtir, et il le faut bien. Antérieure à leurs essais, la différence du bien et du mal est leur raison d’être ; elles se piquent de l’expliquer, de la mettre en lumière, non point de la supprimer. Ainsi qu’on l’a fait voir précédemment, la puissance de l’impératif qu’ils supposent et qu’ils subissent tout en le niant procure seule un public docile aux épicuriens anciens et modernes. Ils sont écoutés parce qu’on sent l’obligation, ils sont écoutés parce qu’on la hait. Sans cette influence toujours active, vous ne supporteriez pas un instant l’impertinence de gens qui s’érigent en arbitres de votre plaisir. Ainsi, malgré les semblants contraires, toute morale se fonde sur le devoir et s’y termine. Mais la perception du devoir est un motif d’action, une impulsion qui se produit dans une direction déterminée. Cette impulsion vient d’une force ; cette voix intérieure qui commande est l’expression d’une volonté. Kant l’a compris ; il appelle autonomie de la volonté ce que d’autres nommeraient, d’un mot peut-être moins profond, mais plus clair en apparence, autonomie de la raison. Cette volonté qui agit en moi sans être pourtant, je le sais trop bien, ma volonté particulière et personnelle, cette volonté qui pèse sur la mienne et qui prétend lui commander, je crois qu’elle pèse aussi sur mes semblables, une voix pareille à celle que j’entends intérieurement leur parle aussi, et leur tient le même langage. D’où vient cette voix ? Une puissance agissant intérieurement, une volonté commune aux divers individus, distincte des individus, supérieure aux individus, qui a le bien moral pour objet et dont la portée est universelle, quel nom lui donnerons-nous ? La langue n’en fournit pas deux. Aussi bien la Critique a beau se défendre, Dieu et le devoir sont l’objet des mêmes antipathies, l’un et l’autre surnaturels aux yeux d’un phénoménisme conséquent en ses visées. Ainsi l’obéissance à Dieu est l’idée même de la morale : toute morale est religieuse ; pour nous, c’est un point démontré.

Mais si par morale religieuse on entend l’observation de préceptes