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CH. SECRÉTAN. — du principe de la morale

drait rien sur nos relations avec d’autres êtres, dont elle ignorerait jusqu’à l’existence. La charité, la justice, impliquant la pluralité des sujets moraux, supposent une expérience antérieure et nous obligent à la compléter. Aussi ne plaçons-nous pas le critère moral dans l’intention, mais dans l’action même, c’est-à-dire dans la volonté, ce qui est autre chose. Vouloir le bien pour le bien n’est pas absolument indispensable à la vertu, le vouloir exclusivement pour le bien n’est pas même la vertu parfaite ; il suffit de le vouloir, comme bien, de le vouloir sachant qu’il est le bien. Et si, pour éviter les malentendus qui résulteraient de comparaisons inévitables, il fallait absolument définir le motif moral par un seul mot, nous marquerions l’unité de la raison dans les deux sphères pratique et contemplative en approfondissant un peu la formule de Wollaston, dont s’est moqué Voltaire, et nous dirions que la volonté morale consiste à vouloir la vérité. Cette volonté, dont l’objet implique un appel à l’expérience, résumera plusieurs motifs, parce que la vérité même est concrète.

Nous expliquerons notre pensée en essayant de faire voir, suivant une promesse donnée plus haut, comment les principes de morale avancés dans quelques écoles convergent au vrai lorsqu’on les éclaire par la conception théorique des choses que nous avons proposée, tandis que leur développement exclusif aboutit à des conclusions contradictoires et répugnantes. Commençons ce rapide examen par la morale religieuse : l’obéissance aux ordres de Dieu.


XII

Morale religieuse.

Le principe de la morale religieuse est incontestable. Si la série des phénomènes réclame une origine hors du phénomène et qui ne soit pas le néant ; si la cause doit renfermer l’effet ; si la raison de notre existence est une volonté créatrice ; si l’ordre moral n’est pas une invention arbitraire ; si Dieu existe ; tout notre devoir est certainement d’obéir à Dieu. Dans un siècle où les suppositions précédentes sont vivement contestées de plusieurs côtés, il est à craindre sans doute qu’après avoir assis la morale sur l’idée religieuse, on ne sache plus où poser la religion même, car les grandes raisons de croire en Dieu sont assurément puisées dans la considération de