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tache exclusivement notre étude, est le monde moral connu de nous, l’humanité.

Enfin, si l’on relève une contradiction dans l’idée d’une partie libre, l’expérience, en me montrant qu’il y a des hommes bons, au nombre desquels je cherche à mériter une place, m’apprend que cette contradiction n’est qu’apparente, puisque le règne universel de la bonté produirait la plus parfaite unité concevable, l’unité vivante de volontés convergentes, entrelacées, qui, se pénétrant réciproquement, s’affirment l’une l’autre et se combinent en une même volonté.

Telle serait brièvement la déduction de notre principe. L’application nous en paraît claire. Suivre la nature des choses et sa propre nature, en agissant comme une partie libre d’un même tout, c’est vouloir ce tout, vouloir la réalité, le progrès, le bien, le bonheur de ce tout ; c’est se vouloir soi-même, chercher sa propre réalisation, son propre perfectionnement, son propre bonheur dans la réalisation, dans le perfectionnement et dans le bonheur du tout, sans les séparer jamais. Est-ce intérêt personnel ? est-ce charité ? est-ce justice ? Nous ne prononçons pas ; il n’y a pas lieu de prononcer. Ces principes sont également faux lorsqu’ils deviennent exclusifs ; ils sont tous vrais lorsqu’on les entend bien, car alors ils concourent et se confondent dans la raison, qui est l’unique et le vrai principe.

Les penseurs éminemment respectables qui placent le critère de la moralité des actes exclusivement dans l’intention, dans le mobile, s’allongent singulièrement la route, si leur dessein final est après tout, comme on le suppose, d’établir les règles les plus avantageuses au bien commun. Cet inconvénient n’est pas majeur sans doute, l’intention qui suggère le but portant également à s’assurer que les moyens y conduisent ; mais réellement on se trompe en n’accordant de valeur morale qu’à tel motif unique a l’exclusion de tous les autres. L’ordre moral véritable est plus concret. Si les systèmes partant des prémisses les plus opposées convergent sans trop d’effort dans leurs conclusions pratiques ; c’est que réellement plusieurs motifs également légitimés, également bons peuvent suggérer la même action. Il y a des mélanges impurs, il est aussi des combinaisons salutaires, dont les éléments s’harmonisent et réciproquement se fortifient. D’ailleurs toute morale purement subjective est illusoire, quel que soit le motif d’action préféré. Le sujet moral ne se forme qu’au contact des faits nos penchants se déterminent dans le monde et dans l’humanité. L’impératif, l’idéal lui-même se rapporte au monde, suppose le monde et ne le produit pas. Une morale vraiment subjective serait complètement égoïste et ne nous appren-