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DU PRINCIPE DE LA MORALE

(3e et dernier article)[1].

XI

Résumé de la déduction. Impossibilité d’une morale subjective.

Nous trouvons en nous-mêmes le sentiment d’une obligation, et, soit librement, soit par l’effet d’une particularité de notre nature, nous nous refusons à expliquer ce sentiment de manière à faire évanouir l’obligation. Nous constatons en nous le sentiment de la liberté, et nous en admettons également le témoignage, parce que la foi dans la liberté nous paraît inséparable du respect de l’obligation. Cette obligation est d’abord une forme vide ; nous cherchons à la remplir, ainsi que le devoir l’exige lui-même. En termes plus clairs, la matière du devoir nous paraît vague, douteuse, sujette à contestation ; nous essayons de la préciser. La raison nous dit que notre devoir ne saurait s’opposer à notre nature essentielle. Nécessairement au contraire le devoir ordonnera de réaliser cette nature. Etre libre, je dois me conduire en être libre. Mais cette règle est encore trop formelle ; son abstraction ne m’apprend pas ce que je dois faire. C’est dans le monde ou je suis placé que je dois agir ; je ne subsiste que par mes rapports avec ce monde ; pour me connaître, il faut le connaître, et l’observation peut seule m’apprendre à connaître un monde dont elle m’a révélé l’existence.

Le caractère le plus général de la somme des phénomènes nous parait consister dans leur enchaînement. Le monde forme un tout. Pour échapper à l’unité de l’être phénoménal, la pensée conséquente devrait s’affranchir des conditions de l’expérience elle-même, en niant la causalité.

Je ne subsiste que par le tout ; je suis déterminé par le tout dans l’exercice même de la liberté que je m’attribue. Pour observer la loi de ma nature, je dois donc me considérer comme une partie libre d’un seul tout, qui est le monde, et qui, dans l’ordre moral, où s’at-

  1. Voir la Revue de janvier et de mars 1882.