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H. JOLY. — psychologie des grands hommes

le traversent, l’interrompent ; si la vigueur naturelle de la vie normale, aidée ou non de forces amies, ne parvient pas à éliminer l’élément perturbateur, on sait quel est le terme fatal de la maladie, Or le corps social a lui aussi ses maladies ; ces maladies ont aussi des crises dans lesquelles l’organisme travaille à chasser de lui les éléments qui lui paraissent entraver la libre circulation de ses idées ou retarder la vivacité de son action. Ainsi la chrétienté, mue par une même passion de l’unité religieuse et acharnée à l’extermination des infidèles, veut extirper de son sein l’hérésie des Albigeois ; ainsi la Révolution française veut écraser les Vendéens ; ainsi, dans l’intervalle, le catholicisme français a essayé de chasser les protestants, comme le protestantisme de l’Angleterre éliminait sous Charles Ier l’influence de la minorité catholique.

Il est vrai que là souvent on se demande si le médecin du corps politique ne s’est point trompé en se hâtant de couper un membre qui, la fièvre de la lutte une fois tombée, eût rendu à la communauté plus d’un service. Avant l’Inquisition, l’Espagne débordait sur l’Europe entière, on peut presque dire qu’elle allait remplissant ou fécondant les mondes nouveaux. Arrivée au terme de son œuvre de persécution, quand elle a frappé ou chassé tout ce qu’elle avait trouvé en elle de novateur, de téméraire, si l’on veut, mais d’original et de hardi, elle rentre, comme un fleuve tari et épuisé, dans un lit rétréci où elle s’endort. Ainsi, quand la révocation de l’édit de Nantes expulse les protestants, non seulement la France sème à côté d’elle les germes d’une puissance rivale et ennemie, mais notre pays se trouve privé d’un élément grave, austère, qui, pris en lui-même, répugnait sans aucun doute à la sensibilité, à l’imagination, au caractère de la grande majorité d’entre nous, mais qui eût peut-être, au cours du xviiie siècle, heureusement corrigé la frivolité corrompue de la Régence. Expulser à la fois les jansénistes et les calvinistes, c’était beaucoup pour une nation qui, suivant le mot récent d’un de ses grands hommes, avait besoin de sérieux dans son gouvernement, sans doute parce qu’elle était elle-même toujours trop prête à en manquer.

Il peut donc être vrai que, si c’est la force naturelle et spontanée de l’élément politique qui se développe à elle-même son organe et s’assure la liberté de ses fonctions, d’autre part un large esprit de tolérance et de libéralisme soit nécessaire dans un pays pour permettre à certaines nouveautés de s’essayer : c’est là sans doute, indépendamment de toute considération relative au droit et à la justice, une des conditions du progrès.

Certains le nient. Mais plus conjecturales encore sont leurs hypo-