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tion des hommes que le consentement universel qualifie de grands, mais nous n’y touchons qu’à des intervalles éloignés ; l’issue par où le personnage extraordinaire a émergé s’est refermée bien vite. Tout ceci est d’ailleurs pleinement acquis, et nous n’insisterons pas davantage.

L’humanité cependant trouve le moyen de suivre sa loi, et cette loi, c’est que la sociabilité et l’individualité croissent de concert, en raison directe l’une de l’autre. Telle est, entendons-nous bien, la loi de notre espèce, car celle de l’animalité nous semble absolument opposée et divergente. Mais cette distinction pourrait nous entrainer dans de longs développements. Contentons-nous de faire observer que dans les sociétés humaines, là où une sociabilité réfléchie, où un échange perpétuel d’idées et de services crée un milieu varié, riche et, comme on dit aujourd’hui, hétérogène, là aussi l’originalité personnelle trouve mille occasions, mille facilités, mille attraits, mille récompenses ; les difficultés mêmes de la lutte l’excitent et la fortifient.

Doit-il y avoir, en dehors de cette liberté et comme une chose qui en soit indépendante, une certaine énergie native constituant un caractère de race, un fonds commun où les représentants les mieux doués de la population puisent les éléments de leur grandeur, de telle sorte qu’ils n’aient plus qu’à développer et à élever à leur plus haut degré les qualités transmises par les aïeux ? C’est ce qui semble au premier abord indubitable. Cette seconde condition toutefois tient de fort près à la première : c’est sur quoi il sera bon d’insister.

Qu’est-ce qui fait la puissance de la vie ? C’est la complexité des organes, la variété des échanges qu’ils opèrent les uns avec les autres à travers le milieu qui les unit et sous la direction de l’organe central qui assure l’unité de leurs actions. Dans la vie sociale, c’est de même la division du travail, complétée par la solidarité des travailleurs, qui permet le développement de la richesse et de la puissance publiques. Cette division du travail en effet, pourvu qu’elle soit libre, c’est elle qui rend l’initiative de chacun plus facile, qui encourage les aptitudes les plus diverses, qui amène les uns à accepter le concours des autres et à aimer ces nouveautés dont on profite sans s’être donné la peine de les inventer.

Supposez dans le corps social ou dans le corps vivant un organe de plus : évidemment il faut qu’il vive, c’est-à-dire il faut qu’il se fasse une place, qu’il établisse, avec ceux dont il a besoin et qui ont eux-mêmes besoin de lui, des communications, des rapports sympathiques, un commerce enfin. Et, pour y réussir, que lui faut-il ? Ceci