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H. JOLY. — psychologie des grands hommes

et des sélections qui les dirigent qu’il convient de débuter. Telle est cette seconde méthode.

Chacune de ces deux méthodes impliquant une certaine prévention ou une tendance à préférer telle ou telle explication du génie, le choix peut sembler épineux. Nous adopterons la deuxième avec le moins de prévention et le plus de liberté d’esprit qu’il nous sera possible : elle cherche ses explications dans des faits moins difficiles à étudier, et, comme elle est mieux d’accord que la première avec l’esprit de la méthode expérimentale, elle nous permettra de mieux constater ce que cette dernière peut nous apprendre ou s’obstine à nous tenir caché sur la question qui nous occupe.


I

« Quand les familles se maintiennent longtemps, dit Gœthe, on peut remarquer que la nature finit par produire un individu qui renferme en lui les qualités de tous ses ancêtres et qui montre unies et complétées toutes les dispositions jusqu’alors isolées et en germe. Il en est de même des peuples dont toutes les qualités s’expriment en une fois, si le bonheur le veut dans un individu. C’est ainsi qu’on vit paraître en Louis XIV un roi français par excellence et dans Voltaire l’écrivain le plus français qu’on pût imaginer[1]. »

On peut dire que cette phrase contient en germe la plus grande partie, nous ne dirons pas des théories, mais des idées, des vues, des assertions qui se sont produites chez nous sur ce sujet. Ne semble-t-elle pas d’ailleurs comme un fragment détaché de la grande théorie de l’évolution qui fait du temps le facteur par excellence des changements et des progrès organiques ? Le point de départ qu’elle nous offre est donc excellent. Mais il faut dans cet ensemble un peu touffu distinguer plus d’une idée.

Le grand homme a, comme tout mortel, un double milieu, sa famille et l’ensemble des hommes, race, peuple, tribu, dont sa famille fait elle-même partie.

Or toute race est-elle apte à donner naissance à un grand homme ? C’est là une première difficulté. Sans doute, il n’est pas d’agglomération d’hommes, disons mieux d’être vivants, plantes ou animaux, qui ne puisse, à un moment donné, se voir naître un représentant mieux doué que tous les autres ; et à ce titre, en un sens tout relatif, ce représentant, qui dépasse ses congénères, qui est plus grand qu’eux, sera dit grand purement et simplement par ceux qui le compareront à son entourage. On dira peut-être plus. Que faut-il, demandera-t-on,

  1. Gœthe, Œuvres, traduction Porchat, tome X, page 385.