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PSYCHOLOGIE DES GRANDS HOMMES


Il est à coup sûr plus difficile d’étudier les formes supérieures de l’intelligence humaine que ses formes dégénérées. L’homme de génie, c’est là du moins l’opinion accréditée, est plus occupé à faire qu’à se demander comment il fait ; il emporte avec lui, comme on le répète généralement, le secret de sa création. Quant aux esprits ordinaires, il leur est malheureusement plus aisé de saisir en eux-mêmes et de comprendre les faiblesses de toute nature contre lesquelles ils se défendent journellement, que de pénétrer les conditions d’existence et de mesurer les hautes allures de ces facultés sublimes dont le développement s’est si vite arrêté chez eux. Sur la folie et le crime, les ouvrages surabondent ; ceux qui traitent du génie non seulement sont rares, mais sont presque toujours consacrés à rabaisser leur sujet, à faire ressortir les vices ou les faiblesses des grands personnages, à découvrir en eux les germes de maladies, physiques ou mentales, qui forment si souvent la plus grosse partie de l’héritage sur lequel peut compter leur postérité. Un volume considérable a paru tout récemment sur la Sélection dans l’espèce humaine[1]. Le titre semblait annoncer des recherches nouvelles sur la formation des types supérieurs de l’humanité ; mais non, ces six cents pages, toutes remplies d’ailleurs de faits et de réflexions, ne nous entretiennent que de la décadence forcée, de la dégénérescence inévitable de ces types. La sélection apparaît non comme une cause de progrès, mais comme l’agent par excellence du nivellement universel. Les privilégiés, « élus du sort, » deviennent les bourreaux de leur propre race, dont ils ont, en une seule existence, surexcité, puis troublé, égaré, épuisé enfin la vitalité. Mais comment, par quelles voies, à quelles conditions, ces « élus du sort ont-ils conquis et exercé leur privilège, comment la sélection a-t-elle lentement accumulé dans les aïeux et consolidé pour un instant ce capital intellectuel qu’elle dispersera si vite dans les descendants, c’est là ce qui

  1. Paul Jacoby, Études sur la sélection dans ses rapport avec l’hérédité chez l’homme, in-8. Paris, Germer Baillière.