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G. SÉAILLES. — les méthodes psychologiques

nous amène-t-il pas à compléter toutes ces méthodes objectives par la méthode subjective, qu’on le veuille ou non, toujours et partout présente. Sans doute il faut s’attacher à l’étude des œuvres de la pensée ; mais ce qui surtout importe c’est ce qu’on y découvre. On peut parcourir les musées de l’Europe et s’arrêter devant tous leurs chefs-d’œuvre sans avoir une idée beaucoup plus nette de la création ou du sentiment esthétiques. Il n’y a que l’esprit qui connaisse l’esprit : on ne voit pas la pensée du dehors, on y assiste du dedans. On ne sait bien que ce qu’on fait soi-même, disait Aristote ; ce mot est surtout de la science de l’âme. La psychologie, en appelant à son aide des sciences nouvelles, en se renouvelant, en se transformant même, restera une science d’observation interne, une création de la sympathie. La réflexion restera le vrai principe du génie psychologique, parce qu’elle seule donnera une voix aux œuvres muettes de la pensée ; mais au lieu de deviner, d’improviser des théories, d’y subordonner les faits, elle s’habituera à la patience scientifique, elle apprendra la résignation aux ignorances provisoires et nécessaires, elle cherchera ses inspirations dans la réalité, dans l’expérience, dans l’histoire. L’esprit de la science changera, ses méthodes se compléteront, on cherchera les idées dans les faits ; mais en dernière analyse les idées seront dues surtout à la réflexion de l’esprit sur lui-même : il semblera qu’on voit l’esprit du dehors, comme il semble, une science faite, qu’on découvre ses lois par le raisonnement déductif.

Mais traiter l’esprit comme un objet, n’est-ce pas professer le matérialisme ? Il faut laisser ces naïvetés aux théologiens de l’athéisme, l’expression la plus récente du sentiment religieux. Les faits psychiques ne sont que la face subjective des faits physiologiques, soit ; mais en même temps et bien plus justement encore, puisque seuls les faits psychiques nous sont immédiatement connus, nous devons dire : Les faits physiques sont la face objective des faits psychiques. Par cela seul qu’il nous apparaît, l’objet nous ramène au sujet, le monde à la pensée. La psychologie faite, il reste à examiner les conditions de toute pensée, les catégories auxquelles doivent se soumettre tous les faits pour être compris dans l’unité d’une même conscience. Considérer les choses du point de vue de l’esprit, c’est la métaphysique même, à laquelle conduit la critique de la connaissance, l’étude des exigences de l’esprit. La philosophie peut se définir l’effort pour rendre le réel intelligible : et rendre le réel intelligible, ce n’est pas seulement le rendre scientifique, mécaniquement explicable ; l’esprit ne comprend vraiment en deraière analyse que ce qui lui ressemble, que ce qui tend vers le bien et vers la beauté,