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les volitions, toutes les fonctions supérieures de la pensée échappent aux méthodes de la psychologie expérimentale et semblent par leur nature même devoir leur échapper toujours ? Dans ce cas, il est vrai, on peut étudier non plus les conditions physiques, mais les conditions physiologiques des faits internes, et traduire ainsi les phénomènes psychiques les plus complexes sous la forme de l’espace et du temps. Nous accordons que chaque phénomène subjectif a une face objective, qu’on pourrait voir sinon la pensée, du moins ses conditions, et par là faire rentrer les phénomènes intérieurs dans le mécanisme universel. Mais cette étude des rapports des phénomènes biologiques aux phénomènes spirituels n’appartient plus à la psychologie expérimentale, telle que l’a définie M. Wundt ; sans doute elle en est la suite naturelle, étant elle-même une partie de la psycho-physique ; mais elle suppose d’autres méthodes, parce que l’expérience ne porte : plus sur un fait brut, mais sur l’être vivant. Ajoutons que cette correspondance absolue des phénomènes cérébraux et des phénomènes spirituels marque un idéal, qu’elle suppose la physiologie et la psychologie faites, tandis qu’à vrai dire ces deux sciences sont à faire. Sans doute, si nous pouvions suivre jusqu’à leurs dernières vibrations les mouvements des cellules nerveuses et saisir les faits psychiques simultanés, nous verrions en quelque sorte avec nos yeux les lois d’association, les principes de la logique ; mais en fait les deux ordres de phénomènes nous sont mal connus, et nous devons étudier les faits intérieurs en eux-mêmes comme la physique faisait la chaleur avant l’hypothèse de la théorie mécanique.

De l’expérience physique, nous avons été conduits aux observations physiologiques ; la nature même des phénomènes psychologiques nous amène ainsi à ajouter à ces moyens d’étude une méthode nouvelle, qu’on pourrait appeler la méthode ethnique[1]. L’esprit s’exprime dans ses œuvres, il s’y montre tel qu’il est, il y réalise ses lois ; nous pouvons donc étudier non pas notre propre esprit, mais l’esprit lui-même, et l’étudier par une méthode scientifique, objective. L’examen des procédés de la science, des œuvres de la littérature et de l’art peut nous fournir des documents précieux, mais rien ne peut être plus instructif que l’étude du langage et de ses lois, parce que le langage est comme un corps que l’esprit se crée spontanément et qu’il modèle à son image, sans troubler par la réflexion l’action de ses propres lois.

Le mouvement qui nous fait passer de l’expérience physique à l’observation physiologique et de celle-ci à la méthode ethnique ne

  1. Voy. Th. Ribot, Psych. allemande contemporaine, p. 4, sq.