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G. SÉAILLES. — les méthodes psychologiques

cieux, irréguliers de nos pensées, de nos sentiments qui mesurent pour nous la durée. Les expériences sur le sens du temps nous placent ainsi dans une situation où nous ne sommes jamais : ce sont des expériences platoniques. En fait, l’étude de ce qu’on appelle le sens du temps devrait surtout dépendre de l’observation intérieure : tantôt le temps s’allonge, il semble que l’esprit vide de représentations ne soit plus occupé qu’à le compter et que l’attention, se portant sur lui, le multiplie : c’est l’ennui ; tantôt au contraire la durée semble à la fois très courte et très longue, très courte parce qu’on ne pense pas à elle, très longue parce qu’il semble qu’il faille un long espace de temps pour contenir tant de pensées et de sentiments ; parfois enfin, dans l’exaltation, dans l’enthousiasme, le temps semble se supprimer : les poètes parlent « d’une éternité dans une minute », et les mystiques refusent de mesurer leur extase à la mesure banale de la durée.

V

Si l’on considérait la psychologie expérimentale comme une science destinée à remplacer l’ancienne psychologie et ayant pour tâche de répondre à toutes les questions qui peuvent se poser sur la vie de l’esprit, on pourrait être tenté de la traiter avec dédain. Pour être juste à son égard, il faut la mettre à sa place, ne pas exagérer ses prétentions, la regarder plutôt comme une partie que comme un tout, comme une méthode particulière dans l’ensemble des méthodes qui permettront de donner de plus en plus à l’étude des phénomènes psychiques un caractère scientifique. La psychologie jusqu’ici a été surtout métaphysique et subjective ; on veut qu’elle devienne en quelque sorte une science objective, qu’elle étudie l’esprit comme on étudie les autres objets et qu’elle arrive à des résultats définitifs, susceptibles d’être toujours vérifiés. À coup sûr, cet effort est légitime et mérite de réussir.

M. Wundt a justifié d’avance les méthodes de la psychologie expérimentale en les appliquant lui-même ; mais déjà dans sa Psychologie physiologique, où il résume ses travaux et ses découvertes, il dépasse à tout instant les limites que ces méthodes lui imposeraient. L’expérience en psychologie n’est possible que quand on atteint directement le fait externe en rapport avec le fait interne, que quand on peut le modifier arbitrairement, N’est-ce pas dire que les sentiments,