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G. SÉAILLES. — les méthodes psychologiques

caractère scientifique[1]. Cette méthode d’analyse subjective ne paraît pas suffisante encore : dans le domaine de l’expérience externe, ce qui répond à la psychologie ordinaire, dit M. Wundt, ce n’est pas la physique, c’est la perception telle qu’elle s’accomplit sans autres auxiliaires que les organes des sens et l’attention. « Cette perception pourrait tout aussi bien prendre le titre de science que la psychologie ordinaire et peut-être avec plus de raison, car les objets externes sont plus indépendants du spectateur que sa propre conscience[2]. » Seule la psychologie expérimentale peut être aux faits internes ce qu’est la physique aux faits externes ; seule l’expérience nous permettant d’intervenir dans un phénomène complexe nous permet de déterminer ses éléments et leurs rapports, les faits simples et les lois générales. On a refusé longtemps au physiologiste le droit d’instituer des expériences sur l’être vivant : intervenir dans la vie, n’est-ce pas la troubler ? On répète de bonne foi : On ne peut créer un phénomène psychologique pour l’étudier ; on ne se met pas en colère pour observer la colère. — C’est vrai, mais il y a des cas où l’on peut modifier les conditions externes qui produisent les états de conscience. — On reste toujours en dehors de la conscience. — Qu’importe qu’on intervienne directement ou indirectement dans le cours des phénomènes, pourvu qu’on puisse les modifier. M. Wundt le fait observer avec raison, dans les expériences de la physique, qu’est-ce que nous modifions ? Nos états de conscience, puisque c’est par eux seuls que nous entrons en rapport avec le monde. Notre intervention est donc à vrai dire toujours indirecte, et l’argument qu’on oppose à la psychologie expérimentale vaudrait contre la physique. « La physique expérimentale admet qu’aux changements des états de conscience répondent des changements externes ; la psychologie expérimentale met à profit les changements objectifs pour établir les propriétés et les lois subjectives de la conscience au moyen des actions que ces phénomènes externes exercent sur elle. » Dans le premier cas on admet un rapport entre les modifications des états subjectifs et les modifications des phénomènes objectifs ; dans le second cas, on admet un rapport entre les changements des phénomènes objectifs et les changements des états de conscience. La psychologie expérimentale n’est pas impossible et son œuvre dans

  1. Nous croyons que, si M. Ribot caractérise la psychologie anglaise contemporaine en disant qu’elle est « une étude descriptive » (Introduct. à la psych. allemande, p. XVIII), c’est seulement parce qu’il la compare et l’oppose à la psychologie allemande, à la psychologie qui à l’observation prétend substituer l’expérience.
  2. Études philosophiques, p. 3.