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est une déduction métaphysique ; Helmholtz est un kantien ; Fechner ne dédaigne pas les aventures spéculatives ; M. Wundt, le plus réservé, n’est pas un empirique au sens ordinaire du mot ; il se réclame de Kant et d’Herbart (Psych. physiol., Préface, p. vii) ; il s’approprie la parole de Leibniz : « Les corps ne sont que des esprits momentanés[1], » et il ajoute : « Le point de vue psycho-physique exige que la substance en mouvement comprenne en même temps le phénomène psychique élémentaire, la tendance (dass die bewegte Substanz zugleich Trægerin sei des psychischen Elementarphänomens, des Triebes)[2] ; l’être spirituel est la réalité des choses, et le développement est la qualité essentielle de l’être[3]. » Au nombre des vieux procédés de la vieille méthode mettons donc une fois pour toutes la manie de la polémique.

Quand une science commence, elle mêle un peu au hasard les descriptions et les hypothèses ; de quelques faits elle construit un système, que des observations nouvelles détruisent. Peu à peu, les faits s’accumulent, leurs rapports sont entrevus, des lois découvertes ; on met à part ce qu’on sait de précis, ce qui s’impose à tous les esprits ; on réserve les hypothèses et les explications dernières. La psychologie en est là : elle se sépare de la métaphysique, comme l’ont fait toutes les sciences. Il n’y a pas à récriminer, c’est la loi même du progrès scientifique. Ce n’est pas à dire que l’étude critique de l’esprit n’ait à jouer un rôle particulier et décisif dans les questions métaphysiques et que l’esprit ne soit, en dernière analyse, qu’un objet comme les autres. L’esprit reste le sujet, le principe de toute connaissance ; mais il peut être considéré comme un objet, et à ce titre il rentre dans le domaine des sciences positives : tel est le fait auquel répondent les efforts très légitimes des psychologues anglais et allemands.

L’ancienne psychologie a deux méthodes : l’observation intérieure et le raisonnement ; elle est descriptive et hypothétique ; elle constate des faits, et elle cherche dans un principe à priori, dans l’unité essentielle de l’âme, la raison des faits constatés. La psychologie anglaise reste une science d’observation interne (St. Mill) ; mais, en cherchant dans les faits complexes les éléments simples et les lois selon lesquelles ils se combinent, elle dépasse déjà la pure description, elle s’affranchit des hypothèses métaphysiques et prend un

  1. Psychologie physiologique, p. 461.
  2. Id., p. 460-461.
  3. Id., p. 464. — Il est vrai que M. Wundt précise sa pensée en disant : « L’unité de l’âme est, vue du dedans, une unité analogue à celle que nous révèle l’observation externe dans l’étude du corps organisé. » (p. 465.)