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SECRÉTAN. — le principe de la morale

l’a compris lui-même. S’il arrivait à quelqu’un de trouver son paradis fastidieux et d’en enfoncer la porte, il n’aurait rien à répondre, et ferait probablement appeler les sergents de ville. En réalité, chacun a son goût, chacun prend son plaisir où jl le trouve. L’utilitaire conséquent ne peut nous conseiller d’autre conduite que celle qu’il lui convient à lui-même de nous voir tenir. Lorsqu’il parle d’intérêt général, il faut toujours se souvenir qu’il songe à son intérêt propre, ou penser qu’il ne s’entend pas nous dirions volontiers, qu’il se calomnie.

II

La liberté.

Conditionnelle ou péremptoire, l’obligation suppose la liberté. La conscience de l’obligation implique la conscience du libre arbitre, et la réalité de la première, la réalité du second : on n’est tenu qu’au possible, cela paraît aussi clair que le jour. Dès lors, l’établissement d’un code moral dont le témoignage de la conscience serait la sanction devient une entreprise illusoire, et surtout inutile, pour ceux qui admettent le déterminisme de la volonté.

C’était l’avis de Spinoza. Les philosophes naturalistes qui se piquent d’un empirisme conséquent partagent sans doute la même opinion ; la morale, en effet, ne figure pas dans leur encyclopédie, qui se termine par la théorie du développement social. Néanmoins des écrivains réputés, de bons esprits, et dans ce nombre quelques partisans décidés du libre arbitre, n’admettent point cette conséquence ; ils la déclarent même impertinente. Essayons de nous entendre. Qu’on ne puisse pas s’estimer à la fois obligé dans un sens par le devoir et rigoureusement déterminé dans un autre sens par la nature, cela n’est pas contesté ; la fatalité qui parfois nous entraine au mal reconnu comme tel est une fatalité relative, secondaire, adventice. Que le concept de l’obligation morale renferme en soi le concept de la liberté, nous nous flattons aussi d’en faire convenir tout esprit sincère. Mais on pourrait juger que l’illusion du libre arbitre permettant l’illusion d’une obligation, cela suffit pour que l’établissement d’une règle de conduite devienne logiquement possible, scientifiquement légitime et pratiquement salutaire. Pour le déterminisme, ce qu’on appelle vulgairement la conduite est une résultante mathématique de tractions opérant en sens divers, un