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ANALYSES. — TH. JACOB. Die inductive Erkenntniss.

En science expérimentale, la difficulté est aussi de déterminer A par rapport à B et à N. Par exemple, comment faire pour distinguer rigoureusement le diamant véritable ou carbone cristallisé du bore cristallisé ou diamant de bore ? Les propriétés physiques B, B’ de ces deux corps N, N’sont semblables à s’y méprendre : dureté, réfrangibilité, limpidité, densité (3, 50, 2, 68), forme cristalline ; par quel attribut, A, A’, les distinguer l’un de l’autre ? Chimiquement, rien de plus simple : la combustion du diamant dans l’oxygène engendre de l’acide carbonique ; celle du bore cristallisé, de l’acide borique. La caractéristique A, d’où dépend la liaison intime de B et de N, est donc déterminée par l’expérience. Voilà en quel sens l’expérimentation est ici indispensable : elle rend aux sciences naturelles positives les mêmes services que la construction des lignes et des figures en géométrie.

L’analogie, si frappante qu’elle soit, n’exclut pas la différence essentielle des concepts et des méthodes. M. Th. Jacob a beau raffiner, dire que la science physique pourrait, à la rigueur, se contenter d’un seul cas bien observé ; en réalité, la « variation des expériences », dussent-elles aboutir à un résultat uniforme, est la condition démonstrative et la garantie logique de l’objectivité ou de la généralité de la loi expérimentale, Le savant, physicien ou biologiste, craint toujours, par une sage défiance, les surprises de la nature ou les illusions de ses sens, tandis que ce scepticisme n’est point de mise en déduction mathématique : le recommencement de la démonstration sur un second ou troisième cas est ici de plein droit inutile. Il n’y a ni prodiges, ni monstres, ni exceptions dans le domaine intuitif à priori du temps et de l’espace : il y en a en physique ; de sorte que la loi inférée de l’expérience et de l’observation, sous le double rapport de la durée et de l’étendue, ne saurait jamais prétendre au double caractère de nécessité et d’universalité. Concept synthétique à posteriori, loi contingente. Conséquemment il est vain de prendre le principe purement logique. « Les mêmes causes produisent les mêmes effets, » pour fondement de l’extension d’une loi empirique à tous les temps et à tous les lieux. C’est reculer la difficulté sans la résoudre, puisqu’il resterait toujours à savoir s’il y a dans toute la nature deux cas absolument identiques par toutes leurs conditions[1].

Un dernier mot. Dans un passage où il traite du critère de la vérité l’auteur place au sommet de toute connaissance et de toute affirmation la loi d’identité logique. « Si quelqu’un s’imagine savoir que tout savoir est impossible, il se met en contradiction avec lui-même… ; donc le savoir de l’impossibilité de tout savoir est impossible, » C’est trancher un peu vite peut-être la question du doute cartésien. Oserait-on affirmer que Descartes sort de la difficulté par une adhésion tacite à l’axiome

  1. Sur cette impuissance du principe de causalité à nous rien apprendre par tut seul. de l’avenir, voyez encore J. Lacheher, Du fondement de l’induction, pages 78-82.