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ANALYSES. — POLLOCK. Spinoza.

caractère tout à fait à part au fond idéaliste qui la supporte et que M. Pollock découvre avec une rare pénétration.

Dans le chapitre sur la Nature de l’homme, nous signalerons le sens attribué au principe dont est déduite la théorie spinoziste des passions : l’effort de toute chose pour persister dans son être, Conformément à ce qu’il a dit plus haut, M. Pollock retire toute portée métaphysique au terme d’effort ; l’effort pour vivre n’est pour Spinoza que ce que les physiciens appellent la force d’inertie, qui n’est rien de plus que le fait même de l’existence, au delà duquel Spinoza ne songe pas à remonter. Ainsi les phénomènes de la vie, de l’action, de la passion, se voient ramenés au phénomène physique de l’inertie, Si cette interprétation est exacte, on comprend ce que voulaient dire Hegel et Schelling quand ils reprochaient à l’univers de Spinoza d’être sans vie, immobile et rigide.

Dans la comparaison qu’il fait au chapitre suivant de la morale stoïcienne à la morale spinoziste, l’auteur remarque qu’un des traits les plus caractéristiques de celle-ci est la doctrine que l’émotion seule peut commander à l’émotion. Mais la thèse essentielle de la IVe partie est celle qui fait de l’amour de Dieu, ou connaissance de l’ordre nécessaire de la nature, la plus haute fonction de l’esprit, bonne à l’homme non comme moyen, mais pour elle-même. M. Pollock fait ses réserves sur ce point. Lors même, dit-il, qu’on admettrait que toute activité de l’esprit est nécessairement une activité intellectuelle, il ne s’ensuivrait pas que l’effort de l’entendement pour se maintenir comme pouvoir de raisonner entrainât la conservation du bien-être de l’homme tout entier. Spinoza l’admet sans preuve, sous l’influence de la théorie péripatéticienne de l’entendement actif, et pour préparer la voie à la doctrine de l’éternité de l’âme, qui termine la Ve partie.

Cette doctrine soulève une question difficile, celle de savoir comment elle se rattache au reste du système, en particulier aux vingt propositions de la Ve partie, qui la précèdent. Elles sont consacrées à expliquer le pouvoir de l’entendement sur les passions, et, cet objet une fois atteint, il semble que l’Éthique doive être terminée ; il n’en est rien, et la théorie de l’éternité de l’âme commence. M. Pollock remarque d’abord que Spinoza a pris soin d’isoler le plus possible cette théorie, d’en faire un tout à part. Il la fait, dit-il, d’abord sans doute parce qu’il avait conscience qu’elle n’était pas à sa vraie place à cet endroit. Il a dû sentir aussi qu’elle soulèverait des difficultés et pourrait compromettre auprès de certains lecteurs ce qui n’en paraîtrait pas assez indépendant. Enfin et surtout il tenait à ce que sa théorie pratique n’eût pas l’air de reposer sur un fondement surnaturel, de faire appel à une espérance, à un calcul mercenaire. Il présente donc sa théorie de l’âme éternelle comme une sorte de supplément extérieur, de métaphysique indépendante, pourrait-on dire, de son système moral.

Nous avons vu que M. Pollock rattache cette théorie à une origine péripatéticienne. Pour Aristote, l’entendement actif est seul éternel ;