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ANALYSES. — POLLOCK. Spinoza.

taillée qu’il fait des influences exercées sur Spinoza par les philosophes juifs du moyen âge, Ces philosophes, il ne faut pas l’oublier, n’ont rien de commun avec la Kabbale, dont les doctrines les plus caractéristiques, celles du moins qui nous sont connues, sont en parfait contraste, d’esprit avec celles de Spinoza et ne pouvaient lui inspirer que dédain et répulsion.

La dernière partie du chapitre III est l’étude approfondie des rapports de Spinoza et de Descartes. M. Pollock la conclut en ces termes : « Tout nouveau pas dans la philosophie est une continuation du dernier, en tant que son caractère et sa direction sont déterminés par les lacunes découvertes dans l’explication des choses obtenue à l’étape précédente. Mais il ne peut en être appelé une continuation au sens propre que s’il est fait dans la même direction, et non s’il est fait en sens inverse d’abord, puis dans une autre voie, qu’il s’agit de frayer, parce que la dernière ne conduisait nulle part. Ce fut le cas pour Spinoza venant après Descartes, et parler de sa philosophie comme d’une branche du cartésianisme n’est pas autre chose, à mes yeux, qu’un paradoxe. »

Cette conclusion d’un chapitre excellent ne nous paraît pas outrée, et nous dirions volontiers, pour exprimer le rapport des deux philosophies, que, si l’on trouve dans Spinoza beaucoup de Descartes, on ne rencontre dans Descartes rien de Spinoza, j’entends du vrai Spinoza, du métaphysicien pratique, l’auteur de la synthèse la plus compréhensive qui fut jamais tentée et accomplie sous la forme rationnelle exacte.

Les chapitres qui suivent nous font connaître le spinozisme par l’analyse des ouvrages qui en contiennent les différentes parties, Le quatrième, qui expose la méthode du système, est un commentaire approfondi de la Réforme de l’entendement. Les cinq suivants, sur la Nature des choses, le Corps et l’esprit, la Nature de l’homme, sa Servitude, sa Délivrance, correspondent dans le même ordre aux divisions de l’Éthique. Le chapitre sur les citoyens et l’État expose le Traité politique : le suivant, Spinoza et la théologie, le Théologico-politique. Enfin le dernier, Spinoza et la pensée moderne, esquisse rapidement les fortunes diverses que le spinozisme eut en partage depuis deux siècles en Hollande et en Allemagne, en France et en Angleterre, les interprétations opposées qu’on en fit, les influences qu’il exerça et qu’il exerce encore à l’heure présente.

Nous nous bornerons aujourd’hui à marquer les points qui nous semblent particulièrement dignes d’attention dans cette forte étude, si nourrie de faits et de pensées qu’elle échappe un peu à l’analyse.

Nous remarquons d’abord, au chapitre IV, l’ingénieuse discussion que M. Pollock établit pour prouver qu’une confusion se serait faite dans l’esprit de Spinoza entre deux sens bien différents au fond du mot idée, le sens logique de concept et celui qu’on pourrait appeler métaphysico-physiologique. Cette identification, non justifiée logiquement, nous donnerait, suivant lui, la clef de plusieurs difficultés du système.