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REVUE PHILOSOPHIQUE

le système, c’est l’homme. Le premier chapitre raconte sa vie et en dégage l’impression. C’est une étude scientifique et morale, où tous les témoignages sont discutés et interprétés avec un sens critique très sûr et qui laisse peu de chose à faire après elle, Le second est l’analyse de sa correspondance, dont l’auteur s’efforce de tirer toute la lumière qu’elle peut jeter sur quelques points du système, les uns très délicats, les autres à peine touchés dans l’Éthique et les autres ouvrages. Nous les discuterons en leur lieu ; mentionnons seulement la question des pressentiments, des apparitions et de l’existence des esprits, celle de la conciliation de la vie et des idées morales avec la loi de l’absolue nécessité, celle des rapports de la philosophie et de la religion, en particulier des vraies dispositions de Spinoza à l’égard du christianisme. Dans son ensemble, ce chapitre est surtout une étude sur les correspondants de

Spinoza et sur ses rapports avec eux : c’est un chapitre de psychologie morale,.’

Le suivant, l’un des meilleurs à notre avis de l’ouvrage, nous fait entrer dans l’étude proprement dite de la doctrine. De quelles sources dérive-t-elle ? quels furent les vrais maîtres et inspirateurs de Spinoza ? que leur doit-il et dans quelle mesure les a-t-il suivis ? Cette question, qui a tant passionné les amis et les ennemis de Spinoza, dans le pays de Descartes surtout, a fait dans ces dernières années un pas important, grâce au progrès des études sur la philosophie juive du moyen âge. Citons surtout, parmi les travaux dont M. Pollock a pu utiliser les résultats, ceux de M. Joël (Beiträge zur Geschichte der Philosophie) sur Maïmonide, Lévi Ben Gerson et Chasdaï Creskas. Ce dernier surtout, expressément nommé par Spinoza, semble avoir exercé sur le développement de sa pensée une réelle influence, Tout porte à croire qu’il a lu de près, au cours de ses études et au temps de ses rapports avec la synagogue, son grand ouvrage intitulé Or Adonaï (la Lumière de Dieu) dont un important chapitre vient d’être édité avec une traduction allemande par M. Ph. Bloch, et dont plusieurs théories rappellent les théories correspondantes de l’Éthique. Les origines juives de Spinoza ont été spécialement étudiées par M. Joël dans ses deux essais (Beiträge, etc.) intitulés Spinoza’s theologisch-politischer Traktat auf seine Quellen geprüft, et Zur Genesis der Lehre Spinoza’s. Nous ne devons pas oublier non plus les ouvrages de M. Franck et de M. Munk, traducteur du More Nebuchim (Guide des égarés) de Maïmonide, les Vorlesungen de Moritz Eisler sur les philosophes juifs da moyen age, et surtout le remarquable ouvrage de M. Kaufmann : Geschichie der Attributenlehre in der Religionsphilosophie des Mittelalters.

M. Pollock explique en ces termes comment il comprend le problème des origines intellectuelles de Spinoza : « Ce ne sont pas les systèmes qui font la vie de la philosophie, mais les idées dont ces systèmes ne sont que la forme et la construction périssable, et le rang d’un philosophe entre les autres est déterminé non par le nombre des adhérents qui acceptent son système dans son entier, mais par la puissance et la