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ANALYSES. — POLLOCK. Spinoza.

Il nous suffira donc aujourd’hui d’indiquer la physionomie, les grandes lignes, les résultats du livre de M. Pollock. Disons d’abord qu’il n’a rien épargné pour rassurer le lecteur devant ce gros volume de 450 pages, pour lui en faciliter l’étude et l’usage. Outre la table très précise qui permet d’en embrasser le plan, un index alphabétique détaillé des noms, £des idées, des questions donne le moyen d’y trouver sans peine les renseignements partiels que l’on désire, et aucun de ceux qui sont nécessaires pour l’intelligence de la doctrine et de son action dans le monde pensant n’y fait défaut. L’allure du style reste vive, malgré la presse des faits et des pensées, la forme nette, sobre, d’une simplicité qui n’exclut ni la force ni l’élévation.

À la fin d’une introduction bibliographique où il nous donne, avec de courtes appréciations pleines de sagacité, la nomenclature complète de ce qu’on peut appeler la littérature du spinozisme (éditions et traductions des œuvres de Spinoza ; autorités concernant sa vie ; premières controverses dont il fut l’objet ; écrits modernes sur l’ensemble de son système ; monographies et discussions spéciales sur des parties ou des aspects particuliers de l’œuvre) M. Pollock nous indique sa méthode en ces termes : « Pour terminer, je crois, dit-il, convenable de dire un mot de la méthode que j’ai moi-même suivie. Tandis que je faisais mes efforts pour me mettre autant que possible au courant de la littérature moderne du sujet, mes opinions sur le sens et la valeur de la philosophie de Spinoza se sont formées de première main par la lecture de Spinoza même ; et si mon livre décide, fût ce quelques lecteurs, à en faire autant pour leur propre compte et à oublier autant qu’ils pourront, en le faisant, ce qu’ils ont lu sur Spinoza ici où autre part, mon désir ne va pas plus loin. Le seul moyen de comprendre un grand philosophe est de l’aborder face à face, quelles que puissent être les apparentes difficultés. Une certaine somme de connaissances historiques est sans doute au moins désirable ; pour comprendre le langage d’une autre époque, il faut savoir quelque chose de ses conditions d’existence, Ce point mis à part, l’auteur est à lui-même son meilleur interprète, et mon but a été de faire que Spinoza s’expliquât ainsi, plutôt que de lui découvrir des explications au dehors. Comme dit Herder, éclaircir la pensée d’un écrivain au moyen d’elle-même, c’est l’honnêteté due à tout honnête homme. »

M. Pollock est fidèle à ces principes dans tout le cours de son livre. Il cite peu et ne discute guère les opinions émises avant la sienne ; mais ni le lecteur, ni Spinoza n’y perdent rien, parce qu’on sent bien qu’il les possède et que le meilleur s’en retrouve dans l’art avec lequel il fait parler son sujet. Cet art n’est simple qu’en apparence, et le plus naturel est ici comme partout le plus compliqué, ce qui vient après le reste qu’il recouvre : on peut oublier ce que l’on ne perdra plus. D’ailleurs, quand l’art s’efface, devient nature, c’est la marque qu’il est personnel : ce livre est bien à M. Pollock.

Nous l’avons vu, ce qu’il désire nous faire connaître, c’est mieux que