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SECRÉTAN. — le principe de la morale

tilité parfaite de tout travail pour moraliser les hommes. Chacun étant nécessairement tout ce qu’il peut être, et ses actes un résultat fatal de son organisation particulière et des circonstances dans lesquelles il se trouve placé, la morale devient pour Spinoza la science des mœurs, la connaissance des mobiles qui déterminent notre activité de fait ; il décline toute prétention de qualifier cette activité par le blâme ou par l’éloge, et bien plus encore l’espoir, absurde à ses yeux, d’en changer le cours par la vertu des exhortations. Mais la plupart des hommes ne l’entendent point ainsi. Ils s’approuvent ou se condamnent les uns les autres ; chacun d’eux intérieurement s’approuve tour à tour et se condamne. Entre la grossièreté bestiale et la culture raffinée d’un très petit nombre de penseurs, dont on répète les sentences dans certains milieux sans être en état de les contrôler, le peuple des civilisés connaît les sentiments de l’estime et du mépris ; les gens se servent couramment des catégories de bien et de mal ; ils conçoivent vaguement un idéal de conduite, qu’ils trouveraient beau de réaliser ; quelquefois même, ils s’efforcent de le faire. Préciser les traits de cet idéal, montrer en quelle mesure et par quels moyens il est possible de s’y conformer, ce travail répondrait à des besoins qu’ils éprouvent. Ce serait l’objet de la morale telle qu’ils la conçoivent, et telle que nous la définissons.

Pour se faire accepter des esprits réfléchis, cette conception devrait renfermer les preuves de sa légitimité ; elle devrait satisfaire aux conditions de la pensée, c’est-à-dire être conséquente et se déduire tout entière d’un principe évident par lui-même.

Qu’un tel système existe ou non, qu’il soit réalisable ou non, il est certain qu’un idéal moral flotte devant l’esprit des hommes, bien qu’il varie singulièrement de peuple à peuple, et même d’individu à individu.

À la conception d’un type du bien se lie invariablement l’idée d’une obligation de s’y conformer, obligation qui implique à son tour la possibilité de le faire. Toute doctrine morale roule sur le devoir et suppose la liberté. À chaque pas dans la vie, nous nous demandons : que faut-il faire ? que dois-je faire ? Et cette question n’aurait aucun sens quelconque si, dans l’esprit de celui qui la pose, il n’y avait pas plusieurs partis possibles, dont un seul répond au devoir. Ainsi la conscience du libre arbitre et le sentiment d’une obligation forment les conditions de la pensée morale, parce que ce sont les conditions de l’activité pratique elle-même. Ceci nous semble évident, indépendamment de toute analyse des notions concrètes et parfois confuses de devoir et de liberté.

Que la volonté puisse se déterminer contre les motifs suggérés