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tant, qu’il nous dérobe aisément le terme final. Cette illusion de perspective explique l’empire d’un individualisme exclusif sur de bons esprits, moins curieux de spéculation que de pratique, et peu sensibles aux rapports entre l’ordre moral et la nature.

X

Discussion des objections à l’unité.

Ainsi l’expérience établit avec une clarté surabondante que les hommes individuels, solidaires entre eux à tous les points de vue, sont réellement les parties d’un être total, sans lequel ils ne sauraient ni subsister ni se comprendre. Au point de vue sensible en effet, qui est celui des premières conditions de l’existence, les enfants sont la continuation, le prolongement, la transformation, l’évolution de leurs parents. Ils consistent dans une partie du corps des parents qui grandit et se développe par assimilation, tandis que le reste vieillit et passe — exactement comme il arrive dans l’organisme individuel. L’espèce humaine doit donc être envisagée comme le déploiement d’un seul couple, puisque la supposition d’un couple initial unique étant la plus simple, doit pour ce motif être préférée jusqu’à démonstration d’insuffisance. Les figurants qui se succèdent sur le théâtre du monde sont des êtres à part au même titre que les cellules dont le corps de chacun d’eux est composé. On dirait les feuilles d’un laurier dont la verdure persiste en toute saison, parce que la rénovation en est continue. L’œil matériel n’aperçoit ni le tronc ni les branches de l’humanité l’esprit les voit. Et les hommes sont bien plus étroitement unis entre eux que ne le sont les feuilles de l’arbre.

En passant des conditions de l’existence à l’existence elle-même, nous voyons que, dans l’humanité, l’état et les actes de l’un influent nécessairement sur tout l’état et sur tous les actes de l’autre, de sorte que chaque individu, quelque lieu qu’il habite, est déterminé dans son être par tous les autres et les détermine à son tour ; comme, dans l’ordre du temps, l’homme vivant aujourd’hui porte le poids de toute l’histoire, et pèse sur tout l’avenir.

Enfin, arrivant au cœur du sujet, la volonté, nous avons constaté que l’humanité, dans la suite de ses générations jusqu’à la présente, produit en nous les penchants qui l’incitent et les convictions qui la dirigent tandis que l’être particulier, dans la mesure où sa particularité s’est accusée, cause partiellement les penchants, les convictions,