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On pouvait partir de là pour essayer de construire la morale comme une science isolée, fondée sur ses propres axiomes, se développant suivant les lois de sa propre méthode, sans intervention de toute autre connaissance quelconque.

Ce n’est pourtant pas la conscience immédiate, c’est le contact du monde extérieur qui nous fait connaître les rapports dans lesquels s’exerce notre activité. Celle-ci forme une partie intégrante de l’ensemble des phénomènes, dont la science inductive, vérifiable, positive, s’applique à déterminer les lois. On pouvait faire rentrer l’étude de la vie sociale dans la science de la nature, rattacher à leurs antécédents organiques les penchants, les aptitudes, les fonctions, les arts, les institutions caractéristiques de l’humanité, pour déduire enfin de l’observation des effets produits les conseils qui pourraient être jugés utiles, puisque, après tout, l’observation elle-même nous montre l’homme en quête de conseils. Ainsi la loi pratique de l’humanité, sa règle de conduite, dans la mesure où l’établissement d’une telle règle est possible, se déduirait de la pure considération des phénomènes, en laissant absolument de côté les problèmes d’essence, de cause et de destination finale. C’est ainsi que la morale, se greffant sur l’anatomie, couronnant la physiologie, s’élèverait à la dignité de science positive.

On sait que les deux voies ont été tentées, et que les deux entreprises se font concurrence aujourd’hui même. Eh bien, indépendante ou positiviste, cette rivalité seule suffirait à prouver que la morale n’est point encore une science démontrable, constituée sur une base universellement acceptée, et que la vieille question de son principe comporte décemment un nouvel examen.

I

L’obligation.

Et d’abord il faut bien s’entendre sur la signification des mots. Nous prenons morale au sens consacré par l’usage, comme un ensemble de préceptes ou de conseils. La morale n’est pas une théorie ; c’est un art, c’est la règle de la vie. Il n’est pas inutile de s’en expliquer, car le terme comporte naturellement plus d’une acception. Nous ne saurions reprocher à Spinoza d’avoir présenté sous le nom d’éthique ou de morale un système de métaphysique et d’anthropologie dont la conséquence hautement proclamée est l’inu-