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Où les chercherons nous ? — Dans les cellules apparemment : la cellule possède une vie propre et, dans un sens relatif, indépendante. Ce qui constitue proprement la cellule, ce ne sont pas les molécules qui forment son tissu, ni les atomes de ces molécules ; c’est le mouvement que la cellule imprime aux molécules, la vertu qu’elle a de les attirer et de les retenir, pour les échanger après quelque temps contre d’autres. Les plantes et les animaux sont des agrégations de cellules, qui continuent à vivre chacune pour soi, tout en spécialisant de plus en plus leurs fonctions. Ce que nous appelons des individus dans ce domaine, ce sont des confédérations de cellules, des synthèses d’individus, ou plutôt des confédérations de confédérations, des synthèses de synthèses, dans une ample hiérarchie. Ainsi l’inspection la plus élémentaire d’un organisme réduit à néant cette opposition du tout et de la partie. Les cellules sont ensemble touts et parties : elles possèdent une vie propre, et la somme de ces vies cellulaires forme la vie de l’organisme composé. La cellule n’est point stable. Elle engendre d’autres cellules en se dédoublant, et ce dédoublement n’est en réalité qu’une forme de croissance. En y pensant un peu, comme l’avait déjà fait le vieil Aristote, on s’aperçoit bientôt qu’il en est de même pour tout organisme quelconque, tellement que dans la nature sensible, la pluralité qui forme l’espèce peut et doit être considérée comme le déploiement d’un seul et même individu.

Le groupement des cellules, la spécialisation de leurs fonctions dans les organismes complexes amène bientôt la distinction des sexes, qui imprime à la notion de l’individualité une signification nouvelle. Tandis que, dans sa forme élémentaire, l’individu se multiplie en se divisant, et renferme en lui tout ce qui appartient à son espèce ; l’individu de l’ordre supérieur ne représente plus la sienne en totalité : il ne saurait en la perpétuant se maintenir lui-même dans l’existence, il ne forme point un tout en lui-même, il a besoin d’un complément, et ce besoin domine impérieusement tout son être ; si bien que le représentant de l’espèce, l’être proprement dit, le tout, le monde abrégé, l’individu véritable sera le couple.

Bref, le rapport entre l’espèce et l’individu varie ; l’individualité se transforme et se développe dans la nature ; mais, de quelque ordre qu’il soit, l’individu n’est jamais simple, l’unité de son être ne consiste que dans la solidarité plus ou moins complète des éléments qui le constituent. Physiquement, l’individu de l’espèce humaine n’est rien moins qu’un tout s’expliquant lui-même et renfermant en lui-même toutes les conditions de son existence ; il n’est rien que dans l’espèce et par l’espèce. Pareil aux cellules dont il se compose, il