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CH. SÉCRÉTAN. — du principe de la morale

avant toute analyse, et plus vénérable encore après l’investigation. Nous prétendons qu’il y a quelque chose d’absolument intime et sacré dans le devoir, nous estimons que l’être moral n’a pas le droit de mettre en question la sainteté du devoir. Nous ne voulons pas qu’on fasse évanouir le devoir. Il y a là, suivant nous, une certitude immédiate, d’un ordre spécifique et supérieur. L’intellectualisme ne saurait nous déloger de cette forteresse. Il ne peut qu’en appeler à certains préjugés, comme nous en appelons peut-être à des préjugés contraires ; mais il ne nous réfutera pas plus que nous ne saurions le réfuter. Les deux positions sont imprenables.

Ce chapitre-ci n’est guère qu’une répétition. Il était difficile de l’éviter, et nous prions qu’on nous la pardonne. Dans la plus humble construction intellectuelle, la même pierre, servant à plusieurs emplois, doit paraître à plusieurs places. Antécédent obligé de la morale, la liberté, qui ne s’établit que par la morale, se retrouve nécessairement dans l’idée de l’ordre moral lui-même. Il convenait d’ailleurs d’insister sur un point difficile. Un esprit conséquent ne saurait maintenir la croyance populaire au libre arbitre dans la conduite, sans assigner au libre arbitre dans la pensée un rôle beaucoup moins compris jusqu’à ce jour, malgré les louables efforts du Criticisme pour le faire entendre. Ceux qui ne connaissent d’autres jugements légitimes que les jugements nécessaires auront beau jeu de signaler, dans la théorie de la liberté que nous maintenons avec cette école, des cercles vicieux qui pourtant ne s’y trouvent pas. C’est le déterminisme absolu qui commettrait une faute de raisonnement, une pétition de principe véritable, en se figurant qu’il a le droit de nous imposer sa propre logique. Encore une fois, l’évidence du devoir n’est pas logique, elle est morale, et cette évidence nous suffit, parce que nous voulons qu’elle nous suffise ; nous sentons qu’il serait mal de mettre en question le devoir. Si nous restons conséquents dans l’ordonnance de notre pensée, nul ne saurait nous en demander davantage.

VIII

Élément empirique du principe dans la nature.

L’élément vraiment empirique de notre conception du monde, c’est la connaissance de notre solidarité matérielle et morale. Il en ressort que chacun de nous n’est point un être, un tout suffisant et complet, mais une partie d’un tout ; d’où suit pratiquement la