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arbitre étant renfermée dans l’affirmation du devoir, nous avons le droit et nous sommes tenus de poser en fait cet arbitre, du moment où nous mettons le pied sur le domaine de la morale. Nous sommes des agents libres. À titre de fait, cette vérité ne peut nous être donnée que par l’expérience, et l’expérience qui nous la fournit, c’est la conscience de l’obligation, c’est l’expérience de la raison agissant en nous. Ce postulat de la raison pratique, le fait de notre liberté, représente en quelque sorte l’élément a priori de la connaissance théorique du monde d’après laquelle il faut nous régler pour obéir à cette raison qui veut se réaliser elle-même. Nous voulons donc croire à la liberté, parce que nous devons croire à la nécessité de l’obligation. La donnée proprement expérimentale qui forme le point de départ, c’est le sentiment de l’obligation, c’est-à-dire, si nous comprenons bien, l’existence de l’a priori s’attestant lui-même dans l’expérience. Nous sommes donc moralement tenus de croire au libre arbitre, ou du moins, pour nous borner au strict nécessaire, nous sommes tenus de nous diriger d’après la croyance au libre arbitre dans la conduite de la vie, ce qui n’oblige pas absolument à l’affirmer comme thèse métaphysique, mais ce qui en interdit la négation.

L’intellectualisme n’entend point cette déduction, qu’il s’efforce de retourner. Suivant lui, comme on l’a dit, il faudrait, pour pouvoir accepter la réalité de l’ordre, être assuré préalablement que l’obéissance est possible, c’est-à-dire qu’il faudrait posséder une preuve du libre arbitre absolument indépendante d’un ordre moral, dont cet arbitre est la condition. Dans l’ordre logique, la liberté forme l’antécédent de l’impératif ; donc dans l’ordre de l’acquisition de nos connaissances, il faudrait être certain de la liberté avant de pouvoir être certain du devoir, et cette preuve de la liberté faisant défaut, nous n’avons point de raison suffisante pour statuer le devoir au sens absolu qu’on veut lui donner ; ou plutôt, pour aller tout de suite au bout de la pensée, comme le libre arbitre est impossible, en tant qu’il contredit le déterminisme universel nécessaire à la science, la thèse du devoir catégorique doit être absolument rejetée.

Sans rentrer dans la discussion de ce dernier point, qu’il nous suffise de constater que l’argumentation n’est pas concluante. L’ordre logique n’est pas nécessairement celui suivant lequel se produit la connaissance. L’esprit remonte régulièrement du conséquent à l’antécédent, pourvu que ce conséquent soit une donnée certaine. À nos yeux, l’obligation est certaine : pour l’intellectualisme, elle ne l’est pas. Il invoque le droit absolu de la pensée de tout analyser, de tout dissoudre, sans s’arrêter devant quoi que ce soit. Nous au contraire, nous nous couvrons du respect pour ce qui paraît respectable