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LE PRINCIPE DE LA MORALE


Chaque printemps charme nos yeux de fleurs semblables à celles de l’année précédente, et chaque génération d’hommes agite les problèmes que ses pères se flattaient d’avoir résolus. Incontestable dans le domaine des mathématiques, de l’expérience sensible et de l’industrie, la loi du progrès ne paraît pas étendre son empire à la recherche des dernières raisons des choses, de notre origine et de notre destinée. Les hommes s’interrogent également depuis bien des siècles sur la règle de leur activité, sans avoir trouvé de réponse suffisamment évidente pour les unir dans une même conviction.

Le trait commun au problème spéculatif et au problème pratique : l’incertitude, fait soupçonner leur dépendance réciproque, et en effet il semble malaisé de tracer rationnellement la règle de conduite d’un agent quelconque, en faisant abstraction de sa nature et de ses rapports. De grands penseurs ont cru pour tant l’avoir entrepris. Ils étaient poussés dans cette voie par un motif considérable : La philosophie théorique et la morale semblent solidaires ; mais elles diffèrent en ce point qu’on pourrait à la rigueur s’interdire l’une, tandis qu’il est impossible de renoncer à l’autre. Il faut absolument que l’homme agisse ; fatalement il subit l’effet de ses actions et des actions de ses semblables. Il importe donc au plus haut point que ces activités s’harmonisent sous une règle ; l’intérêt de la philosophie spéculative est spéculatif lui-même ; l’intérêt de la morale est pratique, universel, impérieux. Telle est la raison pour laquelle on voudrait dégager de la question d’essence, peut-être insondable, celle de la conduite, qui réclame une solution, bonne ou mauvaise, puisque les rapports sociaux reposent forcément sur une conception morale.

Cette disjonction pouvait être essayée de deux manières :

Un sentiment personnel, confirmé en quelque mesure par le témoignage historique et par l’observation de la société, suggère l’idée que l’homme possède une certitude morale immédiate, ou du moins un organe particulier propre à discerner le bien et le mal.