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CH. SÉCRÉTAN. — du principe de la morale

c’est à ces deux termes, contradictoires en apparence, que nous réduisons l’ensemble des notions de fait nécessaires pour donner un objet au devoir. Etablissons-les d’abord l’un après l’autre ; nous verrons ensuite à les accommoder.

Et d’abord la liberté !

Dans quel sens, dans quelle mesure nous est-il permis de poser notre liberté comme un point de fait ? C’est précisément en ce nœud vital de toute pratique et de toute science que l’expérience et la raison sont le plus inextricablement enlacées. En logique pure, le fait certain qu’il nous paraît loisible de choisir entre plusieurs partis selon notre gré constitue assurément une présomption sérieuse, mais rien de plus. Ce qui importerait, ce serait de savoir comment se produit cet agrément. Or tout concourt à nous suggérer l’opinion que, pour atteindre les motifs dans leur source, il faudrait descendre sous l’horizon de la conscience et même franchir les barrières de l’individualité. Ce n’est donc pas l’apparente expérience de la liberté qui nous démontre la liberté ; c’est, comme on l’a déjà dit plus haut, l’expérience de l’obligation. Nous nous sentons soumis au devoir lorsque nous croyons savoir en quoi il consiste, et non moins fortement peut-être lorsque nous le cherchons encore avec anxiété. Mais, en dehors de la liberté de choix, l’obligation morale n’a manifestement plus de sens et plus de place. L’obligation certaine prouverait donc complètement la liberté. Mais l’obligation même est-elle certaine ? L’expérience, c’est-à-dire l’histoire et ma conscience personnelle, ne me donne que la croyance à l’obligation. Le sentiment d’une obligation peut être illusoire ; il est possible de la révoquer en doute, puisque des penseurs dont nous n’oserions soupçonner la bonne foi ne l’admettent pas. Théoriquement, le devoir n’est pas mieux assis que la liberté qu’il supporte ; mais celui qui se sent obligé de faire un acte se sent également obligé de croire à la réalité de l’obligation. Logiquement, il se convainc sans peine que la tentative de faire sortir celle-ci de penchants ou d’autres faits naturels sans caractère obligatoire, est une illusion d’esprits confus, incapables d’un coup d’œil d’ensemble. Scientifiquement, il apercevra bientôt que l’idée d’édifier un art de la vie sans le faire porter sur un principe obligatoire, implique la thèse gratuite, et contraire aux apparences, d’une identité de motifs chez des individus différents de goûts non moins que d’aptitudes, dont l’identité foncière, loin d’être démontrée, contredirait plutôt les suppositions dont partent les ingénieurs. Ainsi, franche ou déguisée, contradictoire ou conséquente à nos autres opinions, l’affirmation du devoir étant nécessairement renfermée dans le dessein de chercher la vérité morale, et l’affirmation du libre