Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 13.djvu/288

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
284
revue philosophique

connaissance ; » tel est le résumé de la morale a priori. La seule raison ne nous conduit pas au-delà de cette prescription ; cette prescription, c’est la raison elle-même.

VII

L’a priori dans la conception du monde.

Agis suivant la nature des choses, dont t’instruira l’expérience. Cette formule appartient, je crois, à Clarke ; elle est modeste, et n’en vaut que mieux. La distinction des deux sources de connaissance qu’elle conserve implicitement, s’impose à nous en dépit de toutes les prétentions systématiques. L’unité de la pensée est un bien dont nous ne saurions déprendre notre espérance ; mais jusqu’ici ni l’empirisme ni l’idéalisme ne satisfont à cet idéal. Nulle distillation du mécanisme n’en fera sortir la conscience ; nulle accumulation, nul feutrage de perceptions accidentelles ne donnera l’universel et le nécessaire indispensables à tout calcul ; on n’aura pas raison de la raison. D’autre part, on ne saurait faire des représentations communes à toutes les intelligences un produit de l’intelligence individuelle ; la nature n’est point notre rêve, pas plus que le devoir n’est notre caprice, et, pour « penser une seconde fois les grandes pensées de la création, » il n’est d’autre route royale que la perception sensible, l’induction, la généralisation graduelle. Mais, encore une fois, distinguer n’est point séparer ; l’expérience pénètre constamment la raison, et la raison, l’expérience. La partie formelle du précepte, agis conformément à la nature des choses, suppose pour être comprise, une conscience de soi-même, une puissance de généralisation, bref une culture, un développement inséparables d’une expérience étendue et prolongée. De son côté, l’expérience ne se produit pas en nous sans notre concours. Il y a réellement dans la conscience de l’activité mentale, dans le discernement de ses formes et de ses lois, une source de notions qui se retrouvent en toutes les autres. Dans ce sens, l’universel et le nécessaire sont eux-mêmes un objet d’expérience, et d’une expérience graduelle. L’universel et le nécessaire impriment leur forme à l’énoncé d’un fait quelconque. Ne soyons donc pas surpris de les retrouver dans la proposition expérimentale qui donne à notre principe : « tu es une partie libre d’un tout », une signification arrêtée.

« Agis conformément à la nature, » telle est la règle rationnelle ; et le fait expérimental où se résume la nature, c’est que nous sommes libres et que nous faisons partie d’un tout. Liberté, solidarité,