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CH. LÉVÊQUE. — l’esthétique musicale en france

L’étude psychologique des instruments nous a montré que la musique instrumentale, considérée dans ses organes divers, n’est nullement une musique sui generis ; qu’elle n’est qu’un aspect de la musique, dont la musique vocale est l’autre aspect ; qu’elle ne diffère pas par essence de la voix humaine et qu’elle ne se conçoit que par ses rapports avec cette voix ; qu’enfin, si la voix humaine est un instrument parlant et chantant, les instruments très musicaux sont des voix chantantes : d’où il s’ensuit que les deux espèces d’organes sont absolument de la même famille.

Ce résultat demeurerait acquis lors même qu’il ne serait appuyé que sur l’observation et l’analyse, telles que nous venons de les pratiquer avec nos esthéticiens psychologues. Mais nous avons cette heureuse chance qu’il ait été vérifié en partie d’une manière saisissante dans ces dernières années par les expérience de l’acoustique physiologique. M. H. Helmholtz, je l’ai dit, fait voir que la voix humaine chantante est un instrument ; et il répète souvent des phrases comme celles-ci : la voix humaine, ainsi que les autres instruments ; ou bien : la voix humaine, la première parmi les instruments, etc. L’illustre physiologiste a aussi démontré dans une large mesure la proposition inverse que j’exprime en disant : Au fond des instruments très musicaux, on retrouve notre voix. Assurément les expériences qui établissent ce grand fait ne sont pas encore complètes ; elles appellent de nouveaux développements. Il est évident toutefois, tant elles sont frappantes, que, loin d’en infirmer les conséquences, l’avenir les confirmera. Je vais donc m’y arrêter plus longtemps que nos auteurs et tâcher d’en tirer tout ce que je crois qu’elles contiennent.

Recueillons d’abord, dans l’ouvrage capital de M. H. Helmholtz, un certain nombre d’observations qui réclament la plus sérieuse attention.

1o Continuellement, les sons musicaux de la voix sont employés surtout à l’émission des voyelles, tandis que les consonnes consistent principalement en bruits de courte durée[1]. — Les voyelles de la voix humaine appartiennent, bien plus que les consonnes, à la catégorie musicale des sons de la voix[2]. — Dans la voix humaine, les premiers sons qui se perdent par l’éloignement sont ceux des consonnes, tandis que M, N et les voyelles se distinguent encore dans un éloignement considérable. Il est intéressant d’écouter des voix humaines venant de la plaine, en se plaçant par un temps calme au haut d’une montagne. On ne discerne guère que les mots formés avec

  1. Théorie physiologique de la musique, trad. G. Guéroult, page 25.
  2. Même ouvrage, page 95.