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CH. LÉVÊQUE. — l’esthétique musicale en france

avait vieilli, et sa voix par instants le laissait muet. Loin de s’en troubler, il continuait les mouvements de sa bouche, sans rendre aucun son, les accompagnait de gestes éloquents, et les assistants non avertis croyaient qu’il avait chanté sans interruption. Que s’était-il passé ? Certains premiers instruments de l’orchestre avaient substitué leur voix à celle du malin virtuose. J’ai cité ce fait particulier, parce que le nom de Mario s’y rattache et aidera à retenir l’observation qu’il faut enregistrer ; mais la chose a lieu tous les jours ; et tous les jours elle démontre que les premiers instruments sont non seulement des voix, mais les équivalents les meilleurs de la voix humaine.

Enfin on ne pense pas assez à la nature de la tâche que remplissent les solistes d’un orchestre exécutant des œuvres d’où la voix humaine est absente. Deux cas peuvent se présenter. Dans les fantaisies comprenant des morceaux d’un opéra, le musicien qui joue les airs composés pour les voix met purement et simplement son instrument à la place de ces voix. Le cornet à pistons remplace, par exemple, le Mergy du Pré-aux-Clers regrettant son pays natal :

Souvenir du jeune âge
Est resté dans mon cœur.

L’instrument est exactement, dans ce cas et dans les cas semblables, une voix qui chante sans paroles. Dans les symphonies, il y a toujours des passages plus ou moins nombreux à contour mélodique ; il y a des thèmes qui se développent, se déroulent, passent d’un ton à un autre, d’un instrument à un autre, d’un instrument à l’orchestre tout entier. Ici encore, les instruments se conduisent, à l’égard de la mélodie symphonique et à l’égard les uns des autres, comme des solistes et des choristes, comme des voix chantant sans articuler des mots.

J’ai beau comparer, rapprocher, analyser, je ne découvre entre les instruments de musique et la voix humaine aucune différence essentielle, et non seulement je ne comprends pas ces instruments abstraction faite de la voix humaine, mais je ne les conçois que par rapport à cette voix.

On insistera peut-être, et l’on dira : La voix humaine n’a ni l’étendue, ni la flexibilité, ni la rapidité des instruments. À la bonne heure ; mais ce n’est pas là une différence d’essence. Il y a à l’orchestre des instruments moins riches en étendue, moins flexibles, moins rapides que d’autres : leur refusez-vous pour cela le nom d’instruments ? Une autre objection est celle-ci : la voix chantante