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majeurs et des demi-tons mineurs. Par exemple, de do à , l’intervalle n’est pas le même que de à mi. En sorte que la gamme de do majeur et la gamme de majeur ont entre elles une autre différence que celle de leur point de départ. En outre, do dièse ne se confond pas avec bémol, comme le pense presque tout le monde. Entre ces deux demi-tons, il y a un écart que les oreilles fines distinguent nettement. Mozart encore enfant sentait des distances tonales peut-être moindres encore que celle-là[1]. Si tous les instruments de l’orchestre devaient tenir compte des exigences de la gamme naturelle, les difficultés seraient nombreuses et, pour la plupart, insolubles. Ne pouvant les vaincre, on les a tournées. On est” convenu de ne pas distinguer entre le ton majeur et le ton mineur, de confondre le demi-ton majeur avec le demi-ton mineur, et de considérer comme identiques le dièse d’une note et le bémol de la note suivante. Cette réduction à deux sortes seulement de divisions égales, qui n’est, en réalité, qu’une cote mal taillée, se nomme le tempérament, et la gamme qui en résulte s’appelle la gamme tempérée. On comprend que, pour le sens musical pur, cette gamme est relativement fausse.

Les instruments à archet, la voix humaine et la majeure partie des instruments à vent sont en état de corriger les inexactitudes du tempérament. La voix de l’homme, pour les rectifier, n’a qu’à suivre l’instinct musical et les conseils de l’oreille.

Grâce à la longueur des cordes, sur lesquelles les doigts de la main gauche peuvent pratiquer toutes sortes de divisions, les instruments à archet sont des organes délicats, je dirais presque infaillibles de la gamme naturelle. Quant aux instruments à vent, quoique de récents progrès les aient laissés encore imparfaits, l’artiste qui en joue peut au moyen de ses lèvres en élever ou en abaisser un peu le son. Les instruments à son fixe subissent la loi de la gamme tempérée. Ce sont l’orgue et le piano.

Parmi les théoriciens actuels, surtout parmi ceux qui sont au courant des progrès de l’acoustique, il n’en est pas un qui ne considère comme une grave imperfection musicale cette obéissance forcée du

  1. À l’âge de quatre ans, il dit un jour au musicien Schachtner, ami de sa famille : « Savez-vous bien que votre violon est accordé d’un huitième de ton plus bas que le mien, du moins si vous avez laissé votre instrument tel qu’il était l’autre jour ? » (Mozart, l’homme et l’artiste, histoire de sa vie, d’après les documents authentiques et’les travaux les plus récents, par Victor Wilder, 2e édition, page 22. Paris, G. Charpentier 1881) M. V. Wilder nous a enfin donné une histoire critique, exacte, vraiment psychologique de Mozart. C’est de cette façon sobre, sûre et attrayante en même temps qu’il faudrait désormais nous rendre au naturel l’âme et le caractère des musiciens de génie.