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CH. LÉVÊQUE. — l’esthétique musicale en france

exécutants, qui ne l’ignorent pas, tâchent de le dissimuler par de brillantes variations qui comblent les vides et remplissent les silences. Mais toute l’habileté prestigieuse d’un Listz, d’un Thalberg, d’un Emile Prudent n’a pu faire oublier ce vice irrémédiable. On peut en prendre son parti, mais comment ne pas s’en affliger ? Il y a des facteurs distingués qui ne s’y résignent pas. Ils persistent à chercher le moyen de prolonger les sons du piano et de le rapprocher par là du chanteur type, de la voix humaine, comme d’autres cherchent le mouvement perpétuel et la quadrature du cercle, et avec autant de succès. On a vu à l’exposition universelle de 1878, un mécanisme ingénieux par lequel le problème n’a point été résolu : « Dans le mélo-piano (ainsi se nomme le nouvel instrument), une série de petits marteaux sont mis en mouvement par un mécanisme d’horlogerie et maintiennent par des chocs très rapides les cordes en vibration en les attaquant près du sillet. C’est au moyen d’une pédale spéciale que le pied gradue l’action de ce mécanisme ; mais la répétition des notes, si rapide qu’elle se fasse par ce procédé mécanique, ne cause point la sensation que donne un son soutenu et ressemble plutôt à une sorte de roulement, à un tremolo[1]. »

L’autre infériorité du piano, c’est sa médiocre justesse. Ce défaut n’est pas moins reconnu, moins constaté que le précédent. Chacun sait aujourd’hui ce que c’est que la gamme naturelle : c’est celle à laquelle notre instinct musical a été amené peu à peu par le travail du temps, sous l’influence des nécessités de la polyphonie et de l’harmonie ; celle qui apporte à notre sensibilité les intervalles et les accords qui la contentent le mieux ; celle enfin qui satisfait à la loi Mathématique des rapports les plus simples, en sorte qu’elle est exacte et naturelle à la fois. Mais il y a une autre gamme dont on ne parlait guère il y a quarante ans, lorsque j’ai appris la musique vocale et instrumentale ; non qu’elle fût alors inconnue : elle était partout où il y avait un piano et un orgue, mais elle n’était guère nommée et définie que dans les ouvrages, d’ailleurs peu communs, de science et de théorie. Aujourd’hui, la connaissance de la gamme tempérée est assez répandue. Cependant il est nécessaire d’en toucher ici quelques mots.

Ni les tons ni les demi-tons de la gamme naturelle ne sont séparés par des intervalles toujours égaux. Il y a des tons plus grands que d’autres, c’est-à-dire des tons majeurs et des tons mineurs. Il y a des demi-tons plus grands que d’autres, c’est-à-dire des demi-tons

  1. Les instruments de musique et les éditions musicales, à l’exposition universelle de 1878, par M. G. Chouquet, p. 26.